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Création et réception des images royales

François Ier faisant visiter sa galerie de Fontainebleau
François Ier faisant visiter sa galerie de Fontainebleau

© Bibliothèque nationale de France

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Qui imaginait l’imagerie royale dans les premières décennies du 16e siècle ? Et comment était-elle perçue dans la société ?

Nous nous sommes efforcés de reconstituer l’image publique de trois monarques du 16e siècle en rassemblant les fragments d’indices qui nous sont parvenus dans la littérature et les arts figuratifs, pour composer une sorte de mosaïque. Bien qu’une telle reconstruction soit éclairante, elle a le défaut de ne pas tenir compte du contexte historique de chaque représentation. Or, l’historien doit, dans chacun de ces cas, poser plusieurs questions : qui envoie ce message, à qui, et en quelles circonstances ?
Certaines des images royales – littéraires ou visuelles – décrites ici sont des panégyriques de nature générale. D’autres font référence à des événements spécifiques et sont conçues pour justifier des actions politiques précises. C’est de toute évidence le cas des médailles, frappées pour saluer, comme nous l’avons rappelé, la victoire de François Ier à Marignan, le nouveau rôle de chef de l’Église d’Angleterre d’Henri VIII, ou encore la campagne d’Afrique de Charles Quint. Les inscriptions gravées sur ces médailles étaient en quelque sorte des instructions de lecture. Pour éviter les erreurs d’interprétation, il faut resituer ces images spécifiques dans leur cadre politique d’origine.

Les concepteurs de l’image royale

Qui émettait ces messages ? La question n’est pas si simple qu’il y paraît. Nous le soulignions au début de cet essai : la présentation des trois monarques était une entreprise collective, mobilisant une armée de secrétaires, poètes, chroniqueurs, peintres, charpentiers, maçons, orfèvres, etc. Dans certains cas, nous connaissons le nom de l’artiste ou de l’écrivain qui a produit une image ou un message donné, mais pas toujours. Certains de ces artistes ont légué leur nom à la postérité. Charles Quint, vers la fin de son règne, a eu la bonne fortune de faire travailler Titien. Henri VIII avait recours aux services de Holbein et François Ier à ceux des Clouet père et fils, mais beaucoup d’autres, moins connus et dont le nom ne nous est souvent pas parvenu, ont aussi participé à l’entreprise. Quels qu’en soient les auteurs, ces images ont été produites sur commande, et il nous faut donc avoir une idée de leurs commanditaires. Les trois monarques se sont peut-être intéressés à la manière dont ils étaient dépeints, mais ils ne se chargeaient pas personnellement de ces représentations.

Dessin de la tête de François Ier
Dessin de la tête de François Ier |

Photo © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

Salomon et Henri VIII
Salomon et Henri VIII |

Royal Collection Trust © His Majesty King Charles III, 2024

La situation est particulièrement claire dans le cas d’Henri VIII, tout au moins vers la fin de son règne : à cette époque eut lieu ce que l’on a pu qualifier de « première campagne de propagande délibérée de l’histoire anglaise », mise en œuvre à coups de sermons et de pièces de théâtre, de peintures, de médailles et de pamphlets. Pendant ses vingt premières années de règne, Henri ne s’était même pas donné la peine de remplacer le buste de son père sur ses monnaies, et il ne s’était pas non plus beaucoup intéressé à Holbein quand celui-ci vivait à Londres dans les années 1520 ; dans les années 1530, en revanche, la Réforme rendit nécessaire un programme de propagande mieux dirigé. L’enjeu était de justifier le schisme avec Rome. Qui trouva la solution du problème ? Il semble, d’après les indices disponibles, qu’un seul et même homme ait été « le cerveau d’un système de propagande raffinée » : Thomas Cromwell, successeur du cardinal Wolsey comme Premier ministre d’Henri VIII, officiellement depuis 1534, mais dans l’ombre depuis quelque temps déjà. [...]
Charles Quint confia au gouverneur Luis Hurtado de Mendoza le choix du style de son nouveau palais de l’Alhambra, mais c’est la tante de l’empereur, Marguerite d’Autriche, qui fut sa principale « conseillère en image » jusqu’à sa mort, en 1530. Ce fut elle, par exemple, qui nomma Jean Lemaire de Belges et Heinrich Cornelius Agrippa chroniqueurs officiels et qui fit appel à plusieurs des artistes ayant réalisé des portraits bien connus de l’empereur (comme Meit, Van Orley et Vermeyen). [...]

À la cour de France, il n’est pas certain que quelqu’un en particulier ait coordonné les nombreuses actions qui aboutirent à la création du « François Ier imaginaire ». Il est possible que le roi, intéressé par le savoir et les arts, se soit davantage impliqué dans la création de son image de marque que ses homologues et rivaux, du moins jusqu’à la prise de conscience d’Henri VIII, dans les années 1530. L’intérêt personnel des deux rois pour la peinture et la décoration est révélé par une lettre adressée en 1540 à Henri VIII par sir John Wallop, son ambassadeur à la cour de France, pour l’informer que François Ier allait lui envoyer le « modèle » (pattern) de la grande galerie de Fontainebleau, afin peut-être de susciter son imitation.

Le roi garant de l’unité
Le roi garant de l’unité |

© Bibliothèque nationale de France

Un chef-d’œuvre de diplomatie et d’orfèvrerie
Un chef-d’œuvre de diplomatie et d’orfèvrerie |

© The National Archives of the UK, ref. E 30/1109

Publics et réactions

Outre qu’elles ont été créées dans des contextes différents, les représentations des trois monarques visaient aussi des publics différents. Le fait qu’elles soient aujourd’hui exposées dans des lieux ouverts à tous ceux qui peuvent en payer l’entrée fait oublier qu’à l’époque la circulation de ces images de Charles Quint, François Ier et Henri VIII était souvent beaucoup plus confidentielle. Certaines illustraient des manuscrits accessibles à un très petit nombre de personnes. D’autres étaient des cadeaux, comme les portraits échangés entre François Ier et Henri VIII entre 1526 et 1527 ou les médailles offertes aux ambassadeurs étrangers.
D’autres portraits étaient toutefois visibles par un plus large public ; on ne peut pas vraiment parler de fabrication de masse, mais au moins d’une production « standardisée » dans les ateliers d’artistes. Pour montrer sa magnificence, Henri VIII faisait exposer sa vaisselle d’or et d’argent et ses tapisseries en certaines occasions, par exemple en 1527 dans son palais de Greenwich, ouvert à « tous les honnêtes gens » … autrement dit, à tous ceux qui étaient bien vêtus. Quelques portraits de lui, tel le portrait en pied peint par Holbein, étaient exposés dans des lieux relativement publics, comme le palais de Whitehall. Des copies de ce portrait étaient visibles ailleurs, par exemple à Cambridge et dans le village d’East Knoyle, dans le Wiltshire.

Le roi jeune, au chapeau fleurdelysé
Le roi jeune, au chapeau fleurdelysé |

© Bibliothèque nationale de France

Le roi jeune, à la couronne royale fermée
Le roi jeune, à la couronne royale fermée |

© Bibliothèque nationale de France

Le roi vieilli, à la couronne royale fermée
Le roi vieilli, à la couronne royale fermée |

© Bibliothèque nationale de France

Le roi vieilli, à la couronne radiée
Le roi vieilli, à la couronne radiée |

© Bibliothèque nationale de France

Bien que les différents genres et supports se soient adressés à des publics différents, il arrivait parfois que la cible soit plus large. Ainsi, dans sa controverse avec Martin Luther, Henri VIII s’adresse à « tous [ses] sujets » et exprime l’espoir de toucher « leurs cœurs et leurs esprits ». Le plus large public était celui qui assistait aux rituels publics, notamment aux entrées des souverains dans les villes, lorsque ces derniers allaient vers le peuple au lieu d’attendre que celui-ci vienne à eux, mais aussi lors des couronnements, des obsèques et autres grands événements. Un chroniqueur anglais contemporain raconta ainsi à ses lecteurs que les habitants de Picardie et de Flandres venaient visiter le Camp du Drap d’or.

Naturellement, il est presque impossible de savoir ce que ces différents publics pensaient des images qui leur étaient présentées. Certains auteurs supposent ou assurent que celles d’Henri VIII avaient une efficacité politique, mais d’autres sont plus dubitatifs. Les réponses individuelles ne sont consignées que lorsqu’elles sont défavorables – ainsi quand François Ier est qualifié d’ « arrogant » ou traité de « pharaon », ou quand la chronique évoque des Anglais ordinaires parlant de leur roi comme d’un « glouton, ivrogne, débauché et cocu ».
On peut cependant penser que la plupart des spectateurs étaient impressionnés par les rituels royaux et impériaux, dont on ne saurait sous-estimer l’impact émotionnel et sensoriel, à une époque privée d’images (à la différence de la nôtre) : il suffit d’imaginer l’attrait à la fois pour l’œil et pour l’oreille de ces événements « multimédias », mais aussi l’excitation contagieuse de la foule (que l’on retrouve aujourd’hui lors des mariages royaux), exacerbée par de longues heures d’attente qui rendaient l’arrivée des protagonistes royaux encore plus imposante et mémorable. Impressions et souvenirs étaient renforcés par les descriptions imprimées et les gravures illustrant l’événement, qui étaient mises en circulation immédiatement après ou avant même la cérémonie. La construction d’une image favorable des souverains est une entreprise qui remonte loin dans l’histoire. L’époque de François Ier et de ses contemporains en constitue un épisode particulièrement important.

Le roi et son royaume
Le roi et son royaume |

© RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier