Des supports effaçables

© J. Drouin
Posture habituelle pour une écriture brève sur le sol
Tracé des deux barres parallèles du /l/.
© J. Drouin
Écrire sur la cire
Dès les débuts de l'écriture et dans toutes les civilisations, le bois a servi aux notes, brouillons, comptes ou exercices d'écoliers. Les tablettes étaient enduites de stuc ou de cire. Sur le stuc, on écrivait à l'aide d'un calame et d'encre et l'on effaçait en lavant la tablette. Avec la cire, on utilisait un stylet d'ivoire, d'os ou de bronze ayant un bout pointu pour écrire, et l'autre aplati pour lisser la cire et effacer ainsi chiffres ou lettres.

Tablette coranique
Institution traditionnelle dans toutes les régions islamisées, l’apprentissage à l’école coranique comporte plusieurs étapes : l’enfant s’initie d’abord à l’alphabet, puis à la syllabation en dessinant sur une planchette en bois les divers caractères et en articulant les sons. Son maître lui apprend à lire une sourate qu’il a écrite pour lui, avant de passer à l’apprentissage de l’écriture proprement dite.
Le matériel scolaire utilisé à ce niveau se résume à peu de chose : une planchette de bois (alluha) grossièrement rectangulaire, d’environ 40 x 20 cm, munie d’une poignée, et un encrier fait d’une petite calebasse, de la grosseur d’une pomme, pouvant contenir l’équivalent d’une tasse d’un mélange d’eau, de gomme arabique et de noir de fumée recueilli sous les marmites.
Pour écrire, l’élève utilise le calame, un roseau taillé (bindirgol). L’alluha, en général de bois ordinaire, s’achète au marché ; ce sont les artisans locaux qui la fabriquent ; plus rares, le contreplaqué et la tôle commencent à être utilisés. Propriété personnelle de l’élève, l’alluha reste dans la salle d’étude du maître pour éviter qu’en rentrant chez lui, l’élève y fasse recopier par un tiers les sourates du Coran.
Une fois la planchette ornée du texte sacré, l’élève en essaie la lecture devant le maître ; s’il parvient à lire sans faute un côté de l’alluha, il est autorisé à laver la planche : l’eau sera conservée avec précaution et donnée à boire aux plus jeunes, en accompagnement d’une bouillie de mil, pour faciliter leur apprentissage et les rendre intelligents. Au niveau de fin d’études, les tablettes peuvent être décorées par une calligraphie du maître avant d’être rapportées à la maison et lues en famille.
Miroir de la richesse des paroles révélées, la tablette est le signe de la qualité de l’instruction et du niveau de l’élève. Quelle que soit leur langue maternelle, les millions de musulmans à travers le monde recopient en arabe « la tablette conservée » (lawh mah fuz).
Photo (C) musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Michel Urtado / Thierry Ollivier
Photo (C) musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Michel Urtado / Thierry Ollivier

Tablette de cire à l’usage du facteur de la marée du marché de Rouen
Sur cette pancarte, on inscrivait les adjudications lors de la vente du poisson à la criée sur le marché de Rouen. Elle était désignée du nom de « Moïse », sans doute en raison de sa disposition sur deux colonnes qui rappelait de façon lointaine les Tables de la Loi. Cet usage traditionnel a perduré jusqu’à la construction des nouvelles halles en 1864.
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
Couramment employées dans l'Europe médiévale en même temps que le parchemin, les tablettes de cire sont peu à peu abandonnées au profit du papier et les exemplaires conservés sont rares. Ce registre de comptes allemand est constitué de douze planchettes de bois reliées entre elles par du parchemin, à la manière d'un codex. Les deux faces de chaque tablette ont été évidées et enduites de cire noire. Le registre peut ainsi se consulter comme un livre. Introduit dans un étui de cuir, il se portait en bandoulière ou accroché à la ceinture.

Comptes sur tablettes de cire
Les tablettes de cire ont été couramment utilisées pour écrire, de la plus haute Antiquité à la fin du Moyen Âge et même au-delà. Constituées de planchettes de bois ou d’ivoire évidées sur lesquelles était coulée une mince couche de cire de couleur noire, brune, verte ou rouge, elles servaient à noter divers textes d’usage éphémère : comptes, brouillons, exercices d’école... à l’aide d’un stylet, en métal ou en os, dont un bout était pointu, l’autre, arrondi, servant à lisser la cire.
Les tablettes pouvaient être attachées ensemble pour former des registres et, dans ce cas, elles étaient évidées et enduites de cire sur chaque face.
À partir du 16e siècle, l’usage des tablettes à écrire décline à mesure que la fabrication du papier se répand en Europe. Malgré leur usage courant dans le passé, rares sont les exemplaires encore conservés de nos jours.
Le polyptyque de douze tablettes présenté ici a gardé son étui en cuir estampé dont les passants permettaient d’introduire une courroie pour le porter en bandoulière ou suspendu à la ceinture ; il contient des comptes en allemand qui se rapportent aux pays de Brunswick et de Grubenhagen.
© Bibliothèque nationale de France
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Écrire sur le sable
Le sable constitue chez les Touaregs le support privilégié du jeu : c'est le support naturel que l'on trouve partout et qui sert à l'acquisition des caractères tifinagh. On trace les signes puis on efface, on écrit, on efface... ainsi de suite. On joue avec les signes jusqu'à ce qu'on parvienne à la maîtrise de tous les caractères. On écrit son nom, on efface, on écrit le nom de ses proches, on efface. On jette, on pointe les doigts sur le sable pour y laisser tous les signes à points. On recommence avec les signes à barre, puis à cercle. On s'amuse à écrire de bas en haut, de haut en bas, de gauche à droite, de droite à gauche, en boustrophédon et quelquefois en spirale.

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Le sable est aussi le support naturellement adapté à l'apprentissage de l'écriture : il est comme une « ardoise naturelle » toujours disponible et qu'on n'a pas besoin de transporter à chaque déplacement. Ce qui est représenté ou matérialisé par l'écrit disparaît aussitôt qu'on l'a tracé, mais il doit rester dans l'esprit de celui qui a écrit, l'objectif étant la reconnaissance et l'appropriation des signes, comme autant de tests de l'acquisition des caractères, que l'on doit maîtriser afin d'être capable de les utiliser en toutes circonstances. Tracer des signes sur le sable, à même le sol, est un jeu d'enfant. On recommence avec des noms nouveaux, des expressions ludiques toujours plus amusantes que les participants au jeu doivent déchiffrer.
On peut faire dire aux signes ce qu'on ne veut ou ne peut prononcer selon le lieu, les circonstances et l'environnement humain. Les raisons relèvent le plus souvent de la pudeur, de la discrétion, voire de la connivence née d'une profonde intimité. Il peut s'agir, en effet, d'un support privilégié pour communiquer en toute complicité dans un groupe, notamment lors des veillées ou des soirées galantes. Séances au cours desquelles les jeunes gens, garçons et filles, écoutent le violon monocorde, anzad, ou rivalisent en joutes oratoires. On peut donc, dans ces assemblées où tous les participants sont généralement assis à même le sol, utiliser ce support naturel pour communiquer des messages, sans bruit, en douceur, par le sable et le signe. C'est le signe posé sur le sol qui devient ce message furtif, cet écrit fugace, éphémère, qui s'efface, passe comme la parole emportée par le vent et le sable. Ce type de message complice peut être également transmis au moyen d'un support humain mobile, la paume de la main sur laquelle le doigt inscrit un ou des signes sans laisser de trace.
Écrire sur le sable et effacer participe au renforcement de la faculté de mémorisation fondée sur les principes d'une visualisation répétitive des caractères. Ces caractères qu'on trace sur le sable et qu'on efface aussitôt représentent des noms intimes, des proches, des expressions exclusivement liées aux centres d'intérêt de celui ou de ceux qui les reproduisent. Cette attrayante méthode globale permet de retrouver les divers caractères sous toutes leurs formes. De même, on s'amuse à écrire sur le sable la formule qui contient presque tous les caractères de l'alphabet touareg.
Après avoir mémorisé tous les signes contenus dans cette expression mnémotechnique, on trace sur le sable les signes manquants, on les efface. Puis on recommence et on efface à nouveau... Lorsqu'ils sont acquis, on joue à refaire les signes à points d'un jeté de doigts, sans lever la main, c'est-à-dire que les doigts doivent laisser des empreintes sur le sable comme celles laissées par les pattes d'un animal. Le jeu peut durer longtemps. Certains jeunes arrivent très aisément à les faire avec une grande dextérité. Le sable est un support parfait pour réaliser des prouesses en peu de temps.
Au cours de ces séances ludiques, on pratique aussi d'autres techniques : elles utilisent le sable comme un support instantané permettant une écriture spontanée qui n'a pas besoin d'autres outils que les doigts, autorisant une vitesse de tracé qui constitue l'élément dominant du jeu, inscription immédiate d'une vivacité intellectuelle aiguisée par la devinette. Un enfant lance une expression suggérant la forme du signe à tracer sur le sable. Ainsi peut-on entendre :
- awas n ezgar, «urine de bœuf » : on doit comprendre et représenter un signe dont la forme est celle que laisse sur le sable l'urine que projette un bœuf avec sa queue, en marchant ; ce signe en zigzag est le signe /y/;
- esshin elkeliban ennimakfanen aruru, «deux petits tabourets touaregs se tournant le dos », la forme obtenue est celle du signe /f/
- ederiz en temarwalt, « l'empreinte du lièvre », le signe comportant trois points en triangle, /k/.
Il existe un certain nombre de signes pouvant prolonger agréablement le jeu.
On recourt également au sable pour laisser des messages temporaires sur le chemin qu'emprunte un individu auquel on souhaite adresser une injure, un avertissement, des menaces ou une expression provocatrice pouvant entraîner des querelles.
Support abstrait pour écriture virtuelle
En marge des supports matériels se situe un champ abstrait. On recourt également à des supports totalement abstraits pour faire passer des messages à destination individuelle ou collective. Cette pratique relève le plus souvent du jeu. Elle consiste à écrire des mots en l'air, c'est-à-dire dans le vide absolu. Les jeunes gens, participant à la séance, doivent les décrypter et les expliciter. On y teste ainsi la rapidité de lecture, de compréhension et de restitution précise du sens caché. Il s'agit de lire les signes, de reconnaître l'énoncé, de le formuler et d'en expliquer le contenu... Cette activité ludique est réservée aux véritables initiés.