Gravures religieuses de Rembrandt































Rembrandt a réalisé quatre-vingts gravures environ traitant de sujets bibliques. Pourtant, la Hollande du 17e siècle, profondément secouée par la Réforme au 16e siècle, était un pays où le calvinisme constituait la religion officielle et, contrairement au catholicisme, les religions réformées étaient hostiles aux représentations bibliques. Mais l'ouverture d'esprit de Rembrandt et son indépendance le rendaient attentif aux interrogations spirituelles qui agitaient son temps.
Dans ses scènes bibliques révélant une réalité émouvante, intemporelle, il innove et renouvelle l'iconographie des Écritures. Tout en respectant fidèlement l'histoire, il la raconte à sa manière, avec des « acteurs » dont les visages, les expressions, les regards, les attitudes et les gestes sont au plus près de l'humain. Seuls les costumes orientaux brodés, les turbans, les accessoires insolites transposent une humanité universelle dans un univers singulier, celui des temps bibliques. L'événement et ses conséquences sur les participants s'appréhendent intuitivement. C'est pourquoi ces estampes, ouvertes au spectateur contemporain, fascinent. Par l'artifice de la lumière et des ténèbres, par une écriture graphique proche du symbole, il parvient à faire jaillir le mystère, le surnaturel, l'immatériel et atteint une autre dimension.
Le Triomphe de Mardochée
État unique
Il existe des tirages du 18e siècle, renforcés à l'eau-forte afin d'approfondir les ombres, et d'autres plus récents que l'on doit à Basan.
Pour le récompenser d'avoir dénoncé un complot ourdi contre sa personne, le roi Assuérus décide d'honorer le Juif Mardochée en le faisant promener en triomphe sur la grand-place, habillé de vêtements royaux, monté sur un cheval que conduira Aman, ennemi juré des Hébreux, qui projetait leur anéantissement (Esther, VI, 10-11).
Rembrandt élabore une composition disparate dans une grandiose mise en scène architecturale compensée par la simplicité du bas de l'estampe, où s'entasse une foule de personnages. Le rôle essentiel des éléments architecturaux est évident. Il scande trois zones chromatiques dans le sens vertical, qui s'opposent à deux plans horizontaux. Dans le plan supérieur se détache, sur la clarté, le visage serein de Mardochée, lequel vit comme indifférent son triomphe inespéré. Au fond est esquissée la silhouette d'un temple circulaire que l'on retrouve dans diverses œuvres de l'artiste. Dans la partie inférieure, où se remarque surtout le personnage d'Aman debout, au premier plan, se pressent deux groupes de personnages qui contemplent le cortège avec respect et étonnement. En haut à droite, figurés sous les traits de Rembrandt et Saskia, Assuérus et sa femme, la Juive Esther, qui a sauvé son peuple de l'extermination, regardent passer le cortège depuis le balcon du palais.
Dans cette estampe d'une extraordinaire beauté et d'une exquise subtilité, Rembrandt a parfaitement intégré les techniques de l'eau-forte et de la pointe sèche afin d'obtenir un large éventail de nuances de clair-obscur allant du blanc brillant du papier aux noirs les plus profonds. C'est avec une remarquable maîtrise qu'il se sert de ces contrastes, notamment dans le groupe formé par Mardochée et Aman. Il oppose au groupe de gauche, très sombre, dont les figures sont gravées avec minutie, celui des personnages de droite, dont il a précisé les contours à l'aide de tailles d'une extrême finesse, laissant l'intérieur en blanc. Malgré la simplicité du traitement, les visages expriment respect, étonnement, curiosité ou amusement. Les silhouettes des deux chiens qui, avec leur instinct proverbial, aboient sauvagement contre le misérable Aman, sont tout aussi expressives.
En haut à droite, l'estampe abonde en détails étonnants. Ainsi, au balcon, l'ombre de la tête d'Esther se projette-t-elle sur le visage d'Assuérus, dont le chapeau, orné d'une plume, produit à son tour une ombre sur la colonne derrière lui. Les contours de la tapisserie qui recouvre le balcon ont été renforcés afin de permettre aux figures de la partie inférieure de mieux se détacher, et l'enfant qui apparaît par-derrière, agrippé à la colonne pour mieux observer la scène, coupe la verticalité de celle-ci en s'insérant dans la forme circulaire du temple.
White a longuement étudié l'influence sur cette estampe du tableau La Ronde de nuit, que Rembrandt peignait à l'époque, ainsi que ses liens avec la gravure de Lucas de Leyde sur le même thème, de 1515, et le tableau du maître de Rembrandt, Pieter Lastman, qui date de 1624.
Biblioteca Nacional de Madrid
L'Adoration des bergers à la lanterne
5e état
Les joncs qui se dressaient derrière la Vierge et l'Enfant ont été dessinés à nouveau à la pointe sèche au 4e état. L'ombre autour de la tête de Joseph a été éclaircie au brunissoir. Des petites tailles modèlent la narine droite de la Vierge ; un double contour sépare sa main de la manche de son vêtement ; la lanterne au centre projette deux faisceaux de clarté, l'un devant, l'autre derrière elle. Le groupe des bergers et la tête du bouf se distinguent plus nettement.
Le 5e état connut un tirage plus important que les précédents.
« Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux : « Allons donc jusqu'à Bethléem et voyons ce qui est arrivé [.] ». Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire.»
Luc, II, 15-16.)
Par l'ombre et la clarté, le thème de l'Adoration des bergers devient ici révélation aux bergers lors de la nuit de la Nativité. Les bergers cherchent à « voir » dans l'obscurité presque totale de l'étable et debout ils scrutent l'ombre profonde, osant à peine s'approcher lorsqu'ils découvrent le groupe de la Sainte Famille. Celui qui l'aperçoit d'abord ôte son chapeau respectueusement et s'arrête. Les deux faibles sources de clarté, leur lanterne - le blanc du papier même - et une chandelle invisible dont les lueurs filtrent entre les tailles leur permettent de distinguer la Vierge et l'Enfant couchés à même le sol et Joseph assis, lisant sans doute l'Ancien Testament et veillant.
Dans cette adoration très émouvante où l'atmosphère suggérée par Rembrandt est si intensément mystique qu'un silence surnaturel se perçoit, l'adaptation du regard à l'obscurité, la reconstitution des formes par la vision, la perception du vacillement de la flamme de la chandelle plus ou moins vive, l'auréole étrange de rayons d'ombre autour de Marie et Jésus sont autant d'effets obtenus par la succession d'états qui imperceptiblement font participer le spectateur à cet événement divin.
C'est l'une des plus belles suites de l'artiste aux tirages sur des supports variés, ici pour la plupart sur papier japon, aux effets lumineux, dorés ou nacrés, aux ombres douces et soyeuses, modulant les lueurs, effleurant et animant cette ombre dense où les trois techniques se mêlent si étroitement qu'elles sont indissociables, où le brunissoir fait émerger quelque clarté, recréation, naissance des formes, expression du mystère.
Bibliothèque nationale de France
Jésus parmi les docteurs
1er état
ans les taches dues à la corrosion du cuivre, en haut à droite, qui apparaissent au 2e état. Au 3e état, la plaque est retouchée en manière noire, peut-être par la main de Bataille. Dessin au Louvre.
« L'enfant grandissait, se fortifiait et se remplissait de sagesse. Et la grâce de Dieu était sur lui. Ses parents se rendaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Et lorsqu'il eut douze ans, ils y montèrent, comme c'était la coutume, pour la fête. Une fois les jours écoulés, alors qu'ils s'en retournaient, l'enfant Jésus resta à Jérusalem à l'insu de ses parents. Le croyant dans la caravane, ils firent une journée de chemin, puis ils se mirent à le rechercher parmi leurs parents et connaissances. Ne l'ayant pas trouvé, ils revinrent, toujours à sa recherche, à Jérusalem.
Et il advint, au bout de trois jours, qu'ils le trouvèrent dans le Temple, assis parmi les docteurs, les écoutant et les interrogeant ; et tous ceux qui l'entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses. »
(Luc, II, 40-47.)
En 1652, Rembrandt grave trois estampes de format oblong dans lesquelles le travail de la lumière et des tailles aboutit à des résultats totalement différents. Dans La Petite Tombe , il combine des blancs brillants très contrastés avec des noirs très denses, des tailles parallèles largement espacées avec des entrecroisements très serrés. Dans l'Adoration des bergers, il utilise tous les moyens que mettent à sa disposition l'art de la gravure et les possibilités du tirage afin d'obtenir une estampe presque magique, faisant surgir, dans la pénombre de l'étable, les figures illuminées par diverses sources de clarté tandis que les tailles d'une extrême finesse forment une masse compacte qui couvre toute la surface du papier. Dans celle de Jésus parmi les docteurs, il n'y a pratiquement pas d'ombres, presque toute la scène est inondée de lumière et les figures, simplement esquissées pour la plupart, s'apparentent davantage à une ébauche de dessin qu'à une gravure. Comme le dit White, chaque planche apporte ses propres problèmes mais aussi leur solution. Il se pourrait que Rembrandt ait envisagé initialement de continuer à travailler la planche, mais qu'au vu de l'épreuve dans cet état il ait décidé de la laisser ainsi.
La composition s'organise sur trois niveaux, que délimitent des marches à peine suggérées, et le fond de la scène est divisé en deux parties par un robuste pilier central. Le chapeau très haut d'un vieillard silhouetté à la pointe sèche sur ce pilier en accentue la centralité et dirige la vue du spectateur vers la droite, où Jésus, debout, sans gravir la dernière marche, s'adresse aux docteurs dans un geste - mains tendues, paumes tournées vers le sol - qui rappelle celui de la figure principale de Joseph racontant ses songes. Selon certains auteurs, Rembrandt aurait pris son fils Titus comme modèle pour le personnage du Christ. L'artiste n'a pas eu besoin, pour structurer l'espace, de recourir à un personnage à contre-jour au premier plan dont le rôle serait de donner, par sa masse sombre, plus d'importance à la scène principale, qui se joue au plan intermédiaire. Il a fait ici tout le contraire : il a placé au premier plan, à des hauteurs différentes, deux silhouettes dont les dos sont entièrement blancs, et, en obscurcissant le groupe de vieillards qui regardent en haut à droite, dans une tribune, il a donné de la profondeur à la scène, soulignée par la ligne de la marche devant laquelle se tient l'Enfant.
Malgré l'apparent schématisme du dessin, les visages des vieillards qui écoutent le jeune Jésus avec attention sont parfaitement définis et individualisés, tout comme leurs coiffures. Ceux du groupe au fond à droite, tracés par des tailles verticales à la manière de Callot, reflètent une véritable attention, alors que les visages de ceux de gauche, à peine silhouettés, évoquent, par leurs traits accentués et synthétiques, des caricatures d'une étonnante modernité.
Il existe d'autres estampes, comme L'Apparition du Christ aux apôtres de 1656, que Rembrandt a également laissées dans cet état premier, apparemment sans chercher à les retravailler. Elles sont toutes d'une remarquable fraîcheur : elles semblent vibrer et prouvent aussi combien l'artiste était sûr de son art.
Biblioteca Nacional de Madrid
L'Adoration des bergers
1er état
Une bande blanche horizontale, défaut de morsure, apparaît en haut à droite ; elle sera ombrée au 2e état.
Dans cette estampe de L'Adoration des bergers à la lanterne, les personnages centraux de la Vierge et de l'Enfant sont dessinés avec une grande économie de tailles et semblent resplendir grâce à la blancheur du papier. En tirant cette épreuve, Rembrandt prit grand soin de nettoyer la planche de manière que l'image soit presque entièrement baignée de lumière, ce qui semble peu vraisemblable, puisque seule la flamme d'une petite lampe à huile placée au fond, au centre de la composition, prodigue un éclairage parcimonieux. Il existe des épreuves que l'artiste a tirées en laissant une légère couche d'encre sur la planche afin de créer une ambiance de pénombre, ce qui est plus logique compte tenu de la faible source de clarté.
Entre cette estampe et celle, gravée deux ans plus tôt sur le même thème, dont la scène se situait dans une obscurité presque totale, le contraste est grand en raison non seulement de la tonalité, mais aussi de l'attitude des personnages. Cette estampe-là nous montrait une Vierge triste, appuyée sur quelques ballots, songeant sans doute aux souffrances qui attendent son fils, à moins qu'épuisée, elle ne cherche tout simplement à se protéger du froid. Ici, elle fait le geste, fréquent dans l'iconographie chrétienne, de soulever son manteau pour montrer aux bergers le nouveau-né. Quant à saint Joseph, au lieu de lire dans un coin, il ouvre les bras comme pour les inviter à adorer l'Enfant. Le visage du garçonnet qui se penche pour regarder Jésus, avec l'expression habituelle chez ceux de son âge face à un plus petit qu'eux, est une véritable merveille. Si les figures sont dessinées à l'aide de tailles assez longues, celles de la vache (et non pas d'un âne comme habituellement), du bouf, ainsi que de la partie droite de l'étable, sont beaucoup plus travaillées, avec des tailles courtes et denses, visant à donner de la profondeur à la scène et une grande richesse de tons à l'image
Biblioteca Nacional de Madrid
La Circoncision à l'étable
2e état
Cet état était considéré auparavant comme un 1er état. Depuis la localisation d'un nouvel état antérieur, il est considéré comme le 2e. Ce qui le différencie du précédent, c'est la façon dont le bras de l'homme debout à droite qui regarde de face, tombe tout droit, étirant son buste. Deux zones claires sans gravure, l'une au-dessous de la signature en haut à gauche et l'autre sur la figure de l'enfant se distinguent. Épreuve avec un ton superficiel dû au retroussage.
« Et lorsque furent accomplis les huit jours pour sa circoncision, il fut appelé du nom de Jésus, nom indiqué par l'ange avant sa conception. »
(Luc, II, 21.)
La Bible ne précise pas où eut lieu la Circoncision, mais on représente presque toujours la scène à l'intérieur du Temple. Toutefois, les Évangiles apocryphes rapportent qu'elle eut lieu dans l'étable où naquit l'Enfant, d'où la présence de la Vierge car, selon la loi juive, elle n'aurait pu pénétrer dans le Temple que quarante jours après la naissance.
Même si Rembrandt a totalement changé de technique et de thème, on perçoit encore des réminiscences du 4e état des Trois Croix sur le côté droit de cette estampe, presque entièrement couvert de traits parallèles, longs et profonds, qui forment un rideau transparent, mais obscur, derrière lequel on entrevoit les figures qui contemplent la scène. Les rayons descendent du ciel comme pour délimiter la scène principale et concentrer l'attention sur les figures de saint Joseph, qui tient l'Enfant, de la Vierge, qui se détourne pour ne pas voir ce que l'on fait à son fils, et d'une vieille femme debout à l'arrière-plan. Soucieux d'éviter un contraste trop brutal entre les deux parties de l'image, Rembrandt a recherché des effets de tonalité dans l'épreuve du 2e état, non seulement en gravant d'autres zones de la planche avec des tailles d'une grande finesse, mais aussi en laissant une légère couche d'encre sur la surface de la planche à l'impression (technique dite du « retroussage »), obtenant ainsi un gris d'une grande douceur autour de la scène centrale, ce qui permet à celle-ci de ressortir davantage, grâce au blanc du papier. Les graduations de teinte ainsi obtenues se perdent dans d'autres épreuves postérieures comme celle du 3e état, dont le tirage a été effectué d'une manière plus conventionnelle et plus uniforme.
Biblioteca Nacional de Madrid
La Sainte Famille
1er état
Il existe de toute évidence, dans la composition de cette estampe, des liens étroits avec la très célèbre Vierge à l’Enfant de Mantegna. Dans l’un comme dans l’autre cas, la Vierge, assise à même le sol dans l’œuvre de l’Italien ou sur une estrade à la manière espagnole qu’a choisie Rembrandt, se penche vers l’Enfant, qu’elle étreint tendrement. Les pieds de celui-ci reposent sur les bras maternels, dans une attitude très naturelle. Il n’est guère étonnant que Rembrandt se soit inspiré de cette estampe de Mantegna, non seulement à cause de la façon dont elle est gravée, qui suscita certainement chez lui une légitime admiration, mais aussi parce qu’elle représente le côté le plus humain et le plus familier de la divinité. Comme il se doit, le Hollandais adapta le modèle et le modifia en fonction de son génie propre et de sa façon personnelle de graver. Il transforma la figure isolée, presque sculpturale, de la Vierge de Mantegna en une autre, parfaitement intégrée dans un contexte familial, où une mère berce son fils ; seule l’auréole nimbant sa tête – que l’on pourrait, si des rayons ne s’en échappaient, confondre avec la vitre de la fenêtre – lui confère un caractère divin. Le visage de la Vierge reflète une immense tristesse, tout comme celui de saint Joseph qui, du dehors, regarde à travers la fenêtre. Il est possible qu’à l’origine Rembrandt ait placé ce dernier à l’intérieur de la pièce (le côté droit de la planche a été passé au brunissoir et regravé d’une manière assez peu soignée) mais, de cette façon, l’estampe eût été moins dramatique. Sous les pieds de la Vierge, un serpent s’enfuit, tandis que le chat qui a donné son nom à l’image, saisit un coin de la robe.
L’estampe peut prêter à une interprétation symbolique, selon laquelle la Vierge, écrasant de son pied le serpent du paradis, représente la nouvelle Ève, salut de l’humanité à travers son fils. Le chat qui s’agrippe à son vêtement serait une image du diable qui, si l’on en croit la tradition populaire, finit brûlé dans la cheminée. Le fait que Rembrandt ait sorti saint Joseph de la pièce confirme la doctrine de la virginité de Marie, soulignée par le carreau de la fenêtre, à travers lequel la lumière peut passer sans le briser ni le souiller.
La gravure de la planche, réalisée à l’aide de tailles parallèles disposées avec un remarquable savoir-faire afin de créer les formes et les volumes, les clartés et les ombres, a la liberté d’un dessin.
Bibliothèque nationale de France
La Fuite en Égypte : le passage d'un gué
État unique
Il s'agit là de la cinquième et dernière estampe de Rembrandt sur le thème de la Fuite en Égypte. On a conservé six états de la Fuite en Égypte gravée en 1651, l'artiste poursuivant infatigablement la recherche des effets nocturnes, autour de la lueur d'une lanterne, de la pénombre à la complète obscurité. Dans le cas présent, l'image fut achevée dès le 1er et unique état. La composition est tout aussi excellente que l'exécution. Rembrandt a représenté la Sainte Famille traversant un ruisseau. Il a habilement commencé le tracé des pattes de l'âne et des jambes de saint Joseph au-dessus des genoux à la limite inférieure de l'image, ce qui lui a permis de donner plus d'importance à la figure de la Vierge, mise en valeur non seulement par son volume et sa position centrale, mais aussi grâce à l'éclairage. Soucieux d'accentuer celui-ci, il a créé à la pointe sèche, derrière les figures, une zone d'un noir intense suggérant la profondeur des arbres et il a laissé par endroits une légère couche d'encre sur la planche afin de revigorer l'estampe à l'aide d'un glacis d'un gris très doux, qui contraste avec la luminosité de Marie. Le visage du vieux saint Joseph et celui de la Vierge sont empreints d'une intense gravité et l'on croirait percevoir le silence nocturne de la forêt.
Bibliothèque nationale de France
Jésus au milieu des docteurs
1er état
L'une des premières impressions avec un effet d'encrage, dans laquelle on remarque les légères rayures laissées par le polissage de la plaque. Avant l'arrondissement des angles au 2e état.
Comme pour toutes les estampes de cette série, le format est en largeur et les personnages principaux sont entièrement de face. Elle est très différente de celle sur le même thème que Rembrandt avait gravée deux ans plus tôt, non seulement par son aspect mais aussi parce que la planche est plus travaillée et que la composition est assez complexe. Les personnages, assis ou debout, de dos, de face ou de profil, créent différents plans et s'assemblent en groupes qui s'équilibrent entre eux : le groupe compact des vieillards de gauche culmine avec la figure claire de Jésus, qui se dirige vers celui qui est de dos au premier plan, fermant le cercle ; la grande figure du prêtre qui occupe le centre de l'image est compensée par la hauteur du personnage debout à côté de lui, plus jeune et vêtu d'une façon très différente des autres et qui, en se présentant de profil, crée un premier plan, rejetant vers l'arrière celui qui est assis. Derrière lui, un vieux mendiant boiteux veut monter sur l'estrade venant du fond, tandis que les têtes des autres vieillards le regardent par-derrière une haute balustrade, en raccourci, afin d'ouvrir la composition sur la droite.
Les visages des vieux docteurs autour du jeune Jésus constituent une véritable anthologie d'expressions de l'écoute attentive et de la méditation, tandis que le sien reflète la solidité de ses convictions. Chacune des petites têtes a une grande personnalité grâce à quelques traits bien différenciés et, en dépit une grande économie dans le tracé, elles sont d'un naturalisme et d'une expressivité extraordinaires.
Lors du tirage de la planche, Rembrandt laissa dans la partie inférieure une très légère couche d'encre, à peine perceptible, afin de donner plus de solidité à la base de l'image.
Biblioteca Nacional de Madrid
Jésus rentrant du Temple avec ses parents
État unique
« Quand ses parents le virent, ils furent saisis d'émotion, et sa mère lui dit : "Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! ton père et moi nous te cherchons, angoissés. » Et il leur dit : « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? » Mais eux ne comprirent pas la parole qu'ils venaient de leur dire. Il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth ; et il leur était soumis. Et sa mère gardait fidèlement toutes ces choses en son cour. Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes. »
(Luc, II, 48-52.)
Il s'agit là de la dernière estampe de la série de l'enfance de Jésus ; elle recrée l'épisode qui suit celui de son débat avec les docteurs du Temple, quand ses parents le trouvent et qu'il rentre avec eux à Nazareth. C'est un passage peu représenté dans l'histoire de l'art et, si l'estampe ne faisait pas partie de la série, on pourrait la prendre pour une scène populaire dans laquelle une famille de paysans se promène dans la campagne, même si les personnages n'ont aucun rapport avec les types populaires ou les gueux que Rembrandt avait gravés les années précédentes. L'expression du visage du Christ, qui lève la tête pour expliquer à la Vierge qu'il était resté au Temple sans les prévenir car il devait s'occuper des affaires de son Père, l'air de Marie reflétant la bonté, les yeux baissés comme si elle se résignait à n'y rien comprendre, le geste de Joseph, qui saisit avec force la main de Jésus, et le chien qui court en aboyant à ses côtés, sont tous très expressifs.
Le paysage qu'ils parcourent, avec un pont à l'arrière-plan, est très naturaliste. Avec des rehauts à la pointe sèche, surtout derrière les pieds et les têtes des personnages, l'artiste réussit à les dégager du fond et à les faire avancer vers le premier plan, sauf pour ceux du côté droit du paysage, dont il fait en sorte qu'ils se fondent dans l'arrière-plan.
Bibliothèque nationale de France
La Petite Tombe
État unique
L'une des premières épreuves imprimées, avec des barbes abondantes et très encrées sur le vêtement du Christ et sur la manche droite du personnage situé au premier plan à gauche.
On doit le titre La Petite Tombe au collectionneur Nicolaes de La Tombe, qui commanda l'estampe et qui fut le premier propriétaire de la plaque. Dans l'inventaire de Clément de Jonghe de 1679, on la retrouve inventoriée sous Latombisch plaatjen (la petite estampe de Latombe). Gersaint crut que le nom venait de la pierre sur laquelle Jésus se dresse.
Gravée vers 1652, cette estampe, intitulée aussi Le Christ prêchant, rappelle par son thème La Pièce aux cent florins, dans laquelle, en prêchant aux pauvres et en soignant les malades, le Christ nous montre son visage le plus humain. On peut également établir un rapprochement avec un passage de l'Évangile de saint Jean (VIII, 12) : « De nouveau Jésus leur adressa la parole et dit : « Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie.» » Rembrandt représente toujours la même figure du Christ, qu'il présente comme un être rayonnant dont l'éclat, même après la mort - comme on le verra dans les images de l'Ensevelissement - illumine ceux qui sont à ses côtés.
Dans cette estampe, la lumière joue un rôle fondamental, car c'est elle qui rassemble autour du Christ tous les personnages. Provenant d'une lucarne au centre du toit, elle se jette avec force sur la grande dalle qui tient lieu de piédestal à Jésus, et son éclat illumine ceux qui écoutent avec grande attention les paroles du maître. La figure du Christ est comme un miroir qui reçoit et renvoie la lumière, une figure fragile, dont le visage et les mains ont été gravés avec la plus grande délicatesse et dont la tunique est faite de traits très légers parce qu'il est sur le point de s'élever au-dessus du sol.
La composition est très claire, parfaitement structurée et équilibrée autour d'un axe vertical, Jésus, et d'un autre axe, horizontal, reliant le vieillard, à gauche, la main sur son menton, à celui qui est coiffé d'une calotte, à droite ; le reste des figures forme un cercle presque parfait autour de l'espace lumineux central. Les figures sur la gauche sont debout, celles qui sont sur la droite sont assises par terre, à un niveau inférieur, mais la différence de hauteur est compensée par l'ouverture d'une porte vers l'extérieur qui, en outre, rompt l'impression d'espace clos. Ce fragment de la rue et des maisons du village est d'une modernité et d'une adresse vraiment étonnantes. Par sa luminosité et sa beauté, il retient l'attention du spectateur. Chaque personnage est travaillé d'une manière différente, présentant des traits très personnels. Au premier plan, la figure de l'enfant, qui a délaissé sa toupie pour dessiner par terre avec le doigt, totalement indifférent au monde des aînés, donne à la scène un caractère très humain.
Avec des traits parallèles plus ou moins serrés, gravés à l'eau-forte, Rembrandt a dessiné les formes : vêtements, architectures, sols, etc., tandis qu'il en entrecroisait d'autres avec soin pour obtenir les zones d'ombre compacte du fond. À la pointe sèche, il a renforcé certains détails pour donner volume et profondeur à l'image, créant ainsi une impression d'espace, puis, au burin, il a retouché certaines petites zones.
Cette composition si étudiée montre l'intérêt de Rembrandt à cette époque pour la Renaissance italienne, qu'il connaissait à travers les estampes. Si l'on en croit White, la posture du Christ, les mains levées, rappelle celle de Jésus assis dans la gloire de La Querelle du Très Saint Sacrement, tandis que celle du vieillard assis sur une estrade à gauche rappelle celle d'une femme à côté d'Homère récitant au Parnasse, les deux fresques de Raphaël de la chambre de la Signature au Vatican. À partir d'un fragment de la seconde, Rembrandt avait fait pour l'album amicorum de Jan Six, un dessin représentant Homère en train de réciter.
Dans l'épreuve dite de la « manche noire », on peut voir comment est la plaque en ce premier stade où les barbes laissées par la pointe sèche sur la plaque sont intactes et s'imprègnent d'encre, produisant des taches d'un noir intense et velouté, très perceptibles sur la cape et sur la manche du personnage situé au premier plan vers la gauche et au-dessous des bras du Christ.
Lorsque la deuxième épreuve, dite de la « manche blanche », fut tirée, la plaque avait déjà beaucoup servi, aussi les barbes s'étaient-elles détachées lors des passages successifs à la petite presse, jusqu'à disparaître presque entièrement. Soucieux de résoudre le problème de la perte des teintes tonales, Rembrandt utilisa un procédé qu'il allait raffiner à l'extrême dans les différentes épreuves que l'on connaît de L'Ensevelissement du Christ. Ce procédé consiste à laisser sur quelques zones ou figures de la plaque une couche d'encre plus ou moins dense à force de la laver avec plus ou moins d'intensité, ce qui permet de créer différentes teintes de clair-obscur, qui vont du gris très clair couvrant les figures et le sol du premier plan au noir intense des éléments architecturaux du fond ; cela permet à la luminosité des maisons, au dernier plan, derrière la porte, et à la plate-forme sur laquelle se trouve le Christ, de se détacher davantage, et de se projeter sur tous les personnages qui sont autour, accentuant encore la composition circulaire. Grâce à l'encrage, Rembrandt transforme l'éclairage d'une image.
Bibliothèque nationale de France
La Pièce aux cent florins
1er état
En 1634, Rembrandt avait réalisé une esquisse à l'huile, La Prédication de saint Jean-Baptiste, dont la composition et le thème rappellent la gravure. Il en est de même pour le tableau Le Christ et la femme adultère de 1644, conservé à Londres. Les ombres modelées par des tailles fines et brèves des personnages de droite sont caractéristiques des œuvres de la deuxième moitié des années 1640.
Le titre de l'estampe s'explique par la difficulté d'interpréter avec exactitude l'iconographie de cette œuvre qui ne correspond à aucune scène précise des Évangiles. Dès 1718, Houbraken l'utilise. Gersaint le reprend dans son catalogue en 1751, en relatant une anecdote : « On sait que Rembrandt étoit fort curieux d'Estampes, et sur-tout de celles d'Italie. On prétend qu'un jour un Marchand de Rome proposa à Rembrandt quelques Estampes de Marc-Antoine, auxquelles il mit un prix de 100 florins, et que Rembrandt offrit pour ces Estampes ce Morceau [.]. » Il ajoute : « [.] cette Estampe étant réellement la plus belle qui soit sortie de la pointe de ce Maître [.]. Et sur le pied que se vendent les Estampes de ce Maître, il y a tout lieu de croire que par la suite le nom de la Pièce de Cent Florins lui sera justement donné. » Une note manuscrite au verso d'une belle épreuve d'Amsterdam signale que l'estampe ne fut jamais vendue mais offerte à ses amis, comme en témoigne le portrait peint d'Aert de Gelder, l'un des derniers élèves de l'artiste, contemplant l'estampe (tableau conservé au musée de l'Ermitage), ou échangée notamment contre La Peste, estampe célèbre de Marcantonio Raimondi possédée par J. P. Zoomer. Bien d'autres propos circulent encore sur ce titre qui perdura. Il est certain que dès le 17e siècle l'estampe fut considérée comme l'un des plus grands chefs-d'œuvre de Rembrandt, toujours qualifiée d'extrêmement rare dans les belles épreuves, et sa célébrité ne cessa de croître. Peu d'épreuves de qualité sont conservées.
Il semble que ce soit l'inscription manuscrite d'un poème de H. F. Waterloos, un contemporain de Rembrandt, découverte à Paris au 19e siècle, qui éclaira sur la signification de la pièce : « Ainsi la pointe de Rembrandt peint d'après la vie le fils de Dieu dans un monde de souffrance, / Tel qu'il y a mille six cents ans déjà il montra les signes des miracles qu'il effectua. Ici, la main de Jésus guérit les malades. Et aux enfants Il donne sa bénédiction (divinement) et punit ceux qui l'en empêchent. Mais (hélas) son disciple le pleure. Et les érudits raillent / La foi des saints qui consacrent le caractère divin du Christ. »
Il s'agit donc du Christ prêchant et guérissant les malades, selon les Évangiles de Matthieu et de Luc, dont plusieurs versets sont illustrés, parmi lesquels : « Et sa renommée se répandait de plus en plus, tellement que de grandes foules s'assemblaient pour l'entendre et pour être guéries par lui de leurs maladies. » (Luc, V, 15.) Ce thème est inhabituel à l'époque.
Le Christ, axe de la composition, légèrement décentré, se détache, immatériel, sans contours précis, sur un fond de muraille traité d'une manière picturale avec un jeu de valeurs d'ombre et de lumière des plus subtiles. Vers lui convergent trois groupes. À droite, le cortège des affligés, paralytiques, malades, miséreux, forme une longue procession ; à gauche, les pharisiens contestent sa parole et essaient de le confondre, et près d'eux saint Pierre l'interroge sur la récompense des disciples ; devant lui, les mères présentent leurs enfants pour une bénédiction et, alors que saint Pierre tente de les écarter, Jésus les invite à s'approcher, illustrant ce verset : « Laissez venir à moi les petits enfants car le royaume des cieux leur appartient. » (Matthieu, XIX, 14.) Le jeune homme riche, pensif, s'interroge sur l'abandon de ses biens, et le notable de dos contemple la scène.
Holfstede de Groot, historien d'art hollandais, a fait remarquer que saint Pierre avait les traits de Socrate, et le disciple derrière lui ceux d'Érasme, dont la pensée avait encore une grande influence. Celui-ci avait tenté de concilier l'étude de l'Antiquité et les Évangiles. Rembrandt a donc réuni devant le Christ la sagesse antique et celle de la Renaissance. La parabole du chameau est évoquée par l'animal sous l'arche, insolite dans cette composition : « Oui je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. » (Matthieu, XIX, 24.)
Les plans d'ombre, de pénombre, de clarté, rythment l'espace intemporel, abstrait. La lumière vient de la gauche et traverse la scène, de plus en plus tamisée, projetant des éclats sur le Christ, l'aveugle, le paralytique, frôlant les corps qu'elle modèle, diffusant une lueur cendrée sur la femme priant dont l'ombre se profile sur la tunique du Christ. Mystère divin, miracles, sanctification, foi et souffrance, mais aussi scepticisme, hésitation, Rembrandt évoque toutes les attitudes de l'humanité face au divin, dans une atmosphère surnaturelle, empreinte de sacré. Il utilise aussi toutes les possibilités de sa « palette » et de sa pointe, traits incisifs, presque caricaturaux, des docteurs de la Loi, jusqu'aux ombres transparentes et mouvantes animées de vibrations lumineuses.
Cette estampe qui tient du prodige et dont le prix ne cessa de croître fut victime de son succès. Le cuivre fut acheté par Guillaume Baillie (1723-1810), capitaine de cavalerie légère, artiste amateur. Une note d'Hugues-Adrien Joly, garde du Cabinet des estampes au 18e siècle, relate ceci : « [Baillie] a ressuscité la fameuse pièce connue sous le nom de pièce de 100 florins, la planche étant usée, un amateur ignorant eut la témérité de vouloir la faire revivre et en fit une abomination ; ce fut dans cet état que le Capitaine Baillie sauva cette planche des mains du Chaudronnier qui allait l'anéantir ; il la retoucha [.]. » Baillie en fit un tirage sur papier ordinaire qu'il vendit cinq guinées et un tirage sur papier de Chine qu'il vendit cinq guinées et demie. Après en avoir tiré cent épreuves, il découpa le cuivre en quatre morceaux et en tira des épreuves séparées. Les contemporains de Baillie apprécièrent cette initiative. Les épreuves furent achetées par souscription en 1775.
L'histoire de ce cuivre et de cette célèbre estampe, depuis le titre - celui d'une valeur vénale -, paradoxalement accepté pour une gravure traitant un thème des plus spirituels, jusqu'au sacrilège de la plaque regravée, réimprimée, fragmentée ensuite, illustre remarquablement la légende rembranesque.
Bibliothèque nationale de France
Le Christ présenté au peuple, 174 « Ecce Homo »
3e état
Peu de modifications interviennent dans les trois premiers états dont les épreuves tirées à peu d'exemplaires sont imprimées sur des papiers orientaux du Japon ou de la Chine, excepté une épreuve du 3e état tirée sur papier européen. Des contre-tailles sont ajoutées sur la cuisse de l'homme tenant l'aiguière à l'extrême gauche de la tribune. C'est le dernier état où la planche est visible dans sa totalité, avec la corniche qui la termine. La hauteur du cuivre ne correspondait pas au format le plus courant des feuilles de papiers orientaux, et il était nécessaire d'imprimer et d'ajouter une bande de papier séparée à la feuille principale. Il semble que trois impressions seulement sans cet ajout soit connues.
Ce chef-d'œuvre de l'estampe est la seule création graphique de Rembrandt qui s'impose autant par la rigueur de sa composition géométrique que par la puissance synthétique de la représentation d'un événement fondamental : le jugement et la condamnation d'un innocent, le Christ. La structure même devient symbolique. Le spectateur face à une architecture étagée, d'une élévation impressionnante dans les trois premiers états, se trouve confronté sans recul à la solennité dramatique de cet instant. Le graphisme très subtil à la pointe sèche, aux noirs somptueux sur l'ivoire du papier chine de l'épreuve exposée, traduit avec intensité la souplesse du trait, sa liberté, son modernisme. Ce n'est pas cette fois un clair-obscur mystérieux qui environne la scène. Elle se déroule en plein jour, dans une lumière uniforme avec très peu d'effets de contraste. Un tracé au trait domine dans les premiers états, véritable dessin esquissé sur le cuivre. Les verticales et horizontales qui traversent la feuille ont été tracées à la règle sur la plaque, accentuant la rigueur architecturale de l'ensemble.
Rembrandt a pu être inspiré, pour la disposition générale de cette œuvre, par les tableaux de la Passion donnés sur les places publiques au 17e siècle ou encore par l'estampe sur le même thème de Lucas de Leyde, graveur très célèbre à l'époque, ou par le Martyre de saint Laurent de Marcantonio Raimondi. Mais son univers et la fulgurante perception qu'il eut des scènes bibliques sont très éloignés des représentations narratives de ces artistes. Il a consacré huit états à cet événement, articulés autour de deux versions. La plaque sera considérablement remaniée et l'architecture symboliquement transformée, en corrélation avec l'évolution de la situation et la sentence de mort qui s'ensuivra.
La façade dépouillée d'un tribunal, à l'architecture offrant des verticales et des horizontales tracées à la règle et délimitant des grands pans de murs nus, rythmée par des corniches, des pilastres, des portes et des fenêtres, présente une avancée centrale en son milieu. La symétrie des différentes parties de la construction est rigoureuse, seule l'ombre et la lumière l'animent et procurent l'illusion d'un certain relief. La scène se déroule à l'extérieur selon la coutume en vigueur aux Pays-Bas de prononcer les sentences hors du tribunal. Rembrandt actualise la scène et la transpose dans un lieu et à l'époque contemporaine. Devant la porte du palais de justice ouverte sur l'obscurité, au centre de la composition sur la plate-forme, les personnages principaux sont réunis, immobiles, dans l'expectative : le Christ, les mains liées ; Ponce Pilate, le gouverneur romain, la tête coiffée d'un turban, tenant le sceptre de la juridiction ; au milieu d'eux le criminel Barabbas. Pilate désigne Jésus à la foule groupée en contrebas : « Voici l'homme » (Ecce Homo) ; et selon la coutume lors de la Pâque, il interroge : « Qui voulez-vous que je vous relâche, Barabbas ou Jésus que l'on appelle Christ ? » À sa droite, un personnage tient la coupe et l'aiguière dont Pilate se servira pour se laver symboliquement les mains, après que la foule aura réclamé le crucifiement de Jésus, et il dira : « Je ne suis pas responsable de ce sang. » À gauche à la fenêtre, on aperçoit la femme de Pilate qui envoie un émissaire au gouverneur avec ce message : « Ne te mêle point de l'affaire de ce juste ; car aujourd'hui j'ai été très affectée dans un songe à cause de lui. » (Matthieu, XXVII, 17-24.)
L'agitation de la foule qui ne cesse d'arriver s'oppose au hiératisme des personnages principaux. Les deux statues allégoriques au sommet de la façade, la Justice aux yeux bandés avec ses attributs, le glaive et la balance, et la Force appuyée sur une colonne, la tête coiffée de la peau de lion, tenant une massue, symbolisent par leur attitude l'injuste sentence et le pouvoir de la foule. Au 4e état, Rembrandt supprime la corniche au sommet de l'estampe pour des facilités d'impression. La vision de l'ensemble s'en trouve renouvelée. Le regard s'oriente davantage sur le groupe médian et la foule au-dessous. Il est probable que l'artiste a voulu ici concentrer l'attention sur les personnages principaux et que c'est la cause de la deuxième version de l'estampe, toujours à partir de la même plaque de cuivre.
Supprimant la foule au bas de la plate-forme au 6e état, il épure sa composition et le thème essentiel est situé maintenant entre deux pans de mur nus. La tension s'intensifie. La progression de l'action est évoquée par la dispersion de la foule agressive, effacée par l'artiste au grattoir et au brunissoir, mais aussi par sa présence virtuelle, son empreinte menaçante et mouvante sur le mur, peut-être volontairement maintenue, lien entre les deux phases de l'événement.
Enfin, présage oppressant, Rembrandt rend ce soubassement menaçant en y gravant deux arches qui s'ouvrent sur des ténèbres. Un buste d'homme les sépare, peut-être une évocation d'Adam, le premier homme terrestre, alors que le Christ est le nouvel Adam, le dernier homme céleste. Adam racheté par le sang du Christ est mis parfois en relation avec la Crucifixion et la descente aux limbes. Certains historiens ont identifié ce buste comme Neptune, ou un dieu fleuve, ou le dieu de l'enfer.
Dans cet univers tout à fait visionnaire, le personnage du Christ est transformé. Esquissé sobrement par un tracé interrompu, sans tailles d'ombre dans les premiers états, il apparaissait immatériel, lointain, désincarné. Il est maintenant une présence humaine réelle, physique, à l'expression résignée, conscient de son destin et regardant le vide devant lui.
Bibliothèque nationale de France
Les Trois Croix
1er état
Le visage de l'homme (Simon de Cyrène ?) qu'entraînent deux hommes au premier plan à gauche n'est pas ombré. Le visage de l'homme derrière le buisson à l'extrême droite est couvert par de légères tailles parallèles.
Par son étrange et fulgurante interprétation du Calvaire, Rembrandt provoque une émotion brusque chez le spectateur projeté soudain dans un univers visionnaire, très émotionnel. L'estampe des Trois Croix apparaît comme une œuvre inspirée. L'impression de surnaturel créée par la violence du clair-obscur, du graphisme, des variations successives de la lumière et des ténèbres, par l'épouvante et le désarroi qui saisit la foule, par le chaos qui règne et la sensation d'intemporalité, projette ses effets vers l'extérieur. C'est d'une manière synthétique, et cependant dans un style pictural, que Rembrandt conçoit cette représentation de la mort du Christ en s'appuyant sur des artifices jusqu'à l'abstraction. Son œuvre atteint un sommet de l'art.
Il y a travaillé longuement. Cinq remaniements de la plaque entraînant deux versions de la composition témoignent de ses recherches pour approcher au plus près cet événement, les derniers moments de la vie du Christ, tels que les relatent les Évangiles et surtout tels que lui-même les appréhende. Et pour cela il a expérimenté des supports et des encrages différents, parchemin, vélin, papier chine et papier japon, papier européen, effet d'encrage, tout au long de sa création.
La première version se déroule en trois états. Rembrandt considère alors cette phase achevée et signe sa plaque. Dès le 1er état, sans innover dans l'iconographie de ce thème tant de fois représenté, il adopte une structure tout à fait nouvelle, fondée sur un éclairage. Il situe la scène dans un triangle de lumière et dispose les participants en demi-cercle au pied des trois croix, sur un vaste plateau où le spectateur est invité à pénétrer. La profondeur est rendue par des pans d'obscurité obliques, ouverts vers l'extérieur, de part et d'autre du cône de clarté dont la source est située au-delà de la feuille. Le Christ est l'élément central de la composition, entouré du bon larron à sa droite et du mauvais larron à sa gauche. Marie-Madeleine éplorée enserre la croix ; à ses côtés, à droite, saint Jean se tient la tête dans les mains, désespéré ; devant lui les saintes femmes soutiennent Marie. Le centurion converti et repenti, descendu de cheval, s'est agenouillé devant Jésus ; pour cette figure, Rembrandt s'est inspiré d'une gravure du Maître au Dé de 1532, un graveur italien de l'entourage de Raphaël. À la droite du Christ se tiennent l'armée romaine immobile et la foule agitée dans des attitudes diverses, exprimant souvent la douleur : une personne se cache le visage, une autre se jette à terre - il s'agit peut-être de Simon de Cyrène -, au premier plan, soutenue par deux hommes. Habituellement, ces comportements ne sont pas figurés. Dans l'angle inférieur droit, une caverne s'ouvre sur des ténèbres.
L'épreuve du 1er état imprimée sur du parchemin répand une lumière blonde qui atténue les contrastes et impressionne par son rayonnement. Sur ce support l'encre s'étale et donne une grande douceur aux contours qui restent imprécis. Les ombres de la pointe-sèche deviennent opaques et l'ensemble se rapproche d'un lavis.
L'épreuve du 2e état, imprimée sur papier européen, est plus claire et les contours de la plupart des personnages, esquissés d'un simple trait, sont plus nets. Les différences proviennent surtout de l'impression.
Au 3e état, le ciel semble s'ouvrir et une lumière aveuglante, plus terrifiante que la précédente, légèrement voilée par un effet d'encrage, envahit la scène, perçant la matière épaisse de l'obscurité des bas-côtés, où pointe sèche et burin se mêlent. C'est alors que Rembrandt signe et date sa plaque et, dans un 4e état, la modifie complètement, après en avoir effacé une grande partie et dessiné à nouveau la foule et les soldats. Son graphisme est très différent de ses premiers états. Son tracé épais, puissant, très affirmé, cubique pour certains motifs, surréaliste pour d'autres, joue sur l'obscurité. La scène est plongée dans les ténèbres, que transpercent des rais de lumière blafarde, illustrant ce passage des Évangiles : « C'était déjà environ la sixième heure quand, le soleil s'éclipsant, l'obscurité se fit sur la terre entière jusqu'à la neuvième heure. Le voile du sanctuaire se déchira par le milieu et, jetant un grand cri, Jésus dit : « Père, en tes mains je remets mon esprit. » Ayant dit cela, il expira [.]. Et toutes les foules qui s'étaient rassemblées pour ce spectacle, voyant ce qui était arrivé, s'en retournaient en se frappant la poitrine. » (Luc, XXIII, 44-48.) Ou encore : « La terre trembla, les roseaux se fendirent, les tombeaux s'ouvrirent. » (Matthieu, XXVII, 51-52.)
Et c'est bien cette vision apocalyptique que l'artiste arrive à traduire, en même temps que la continuité de l'agonie du Christ. Les deux versions qui, le plus souvent, sont considérées comme deux interprétations différentes de l'événement représenteraient plutôt les deux phases essentielles de celui-ci, la seconde figurant l'instant paroxysmal de la Passion tel qu'il est décrit dans les Écritures. En effet, si la bouche fermée du Christ dans les premiers états et sa tête inclinée signifient pour certains sa mort, et donc l'achèvement de l'œuvre, ce peut être aussi l'agonie du Christ. Et la bouche ouverte dans le 4e état peut très bien être aussi un signe de mort : après qu'il eut parlé une dernière fois, son menton est retombé.
Le bon larron est toujours présent, le mauvais larron disparaît sous les longues tailles noires, serrées et vigoureuses. Saint Jean écarte les bras en signe de désespoir. L'épouvante saisit la foule qui fuit, se bouscule, noyée dans les ténèbres. Certains personnages ne se distinguent plus dans le chaos, la caverne s'effondre. Les chevaux s'affolent, celui qui se cabre évoque le dompteur du Capitole. Le cavalier en selle, peut-être Ponce Pilate, est inspiré d'une médaille de Pisanello représentant Gian Francesco Gonzaga. Dans son Évangile, saint Jean parle en détail de la présence du gouverneur romain sur le Golgotha : « Pilate rédigea aussi un écriteau et le fit placer sur la croix. Il y était écrit : « Jésus le Nazôréen, le roi des juifs ». » (Jean, XIX, 19.) Rembrandt a fait de cet écriteau un rectangle de lumière.
Le geste du soldat en armure, glaive levé à la droite du Christ, est proche de la figure de Claudius Civilis dans Le Serment des Bataves, tableau achevé en 1661 pour l'hôtel de ville d'Amsterdam conservé au Musée national à Stockholm. C'est la raison pour laquelle la date de 1661-1662 a été évoquée pour cet état. Elle est aujourd'hui remise en question. Les filigranes sont les mêmes pour les quatre états, lorsqu'ils sont publiés sur papier européen. Il semble donc que les états se soient succédé rapidement et que la plaque n'ait pas été reprise sept ans après.
Rembrandt s'est reporté aux Évangiles sans en faire une illustration fidèle. Inspiré par des versets, il les a symboliquement interprétés. Il semble même qu'il ait souhaité évoquer à sa manière la Résurrection abordée par Matthieu (XXVII, 52-53). Le papier japon jaune clair choisi pour cette épreuve laisse transparaître une clarté dorée entre les tailles. Le corps du Christ est dans une gloire de rayons de pointe sèche sur laquelle il se détache, lumineux, projetant une clarté au pied de la croix. De même, une lumière pure semble surgir de sa tête, ciselant le bois de la croix, icône divine triomphante. Le noir et blanc accentue la spiritualité de la scène, entraînant le spectateur dans une profonde réflexion métaphysique.
Bibliothèque nationale de France
L'Apparition du Christ aux apôtres
État unique
« Tandis qu'ils disaient cela, lui se tint au milieu d'eux et leur dit : « Paix à vous ! » Saisis de frayeur et de crainte, ils pensaient voir un esprit. Mais il leur dit : « Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi ces doutes montent-ils en votre cour ? Voyez mes mains et mes pieds ; c'est bien moi ! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. » Ayant dit cela, il leur montra ses mains et ses pieds. »
(Luc, XXIV, 36-41.)
Cette estampe a de nombreux points communs avec celle du Christ et les docteurs, de 1652 : apparemment toutes deux sont inachevées, la manière de dessiner, en rayant à la pointe le vernis qui couvre la plaque, est très similaire et, d'une certaine façon, il en va de même de la distribution des figures en trois groupes, laissant sur la gauche les plus claires et rassemblant sur la droite les plus obscures.
Bien que, pour nombre d'entre elles, le profil soit seulement dessiné et les plis des vêtements simplement indiqués par quelques traits, elles n'en demeurent pas moins très expressives et parfaitement caractérisées. Si l'on examine de près l'estampe, on s'aperçoit que, même si elle paraît inachevée, les zones nécessaires pour donner de la profondeur à la composition et parvenir à l'atmosphère irréelle de l'épisode ont été travaillées avec soin. L'artiste a gravé avec des tailles entrecroisées profondes, qui retiennent beaucoup d'encre, le groupe de figures qui forme un triangle obscur derrière le Christ ; il s'est servi de rayures parallèles assez rapprochées pour la table qui ferme la composition en bas à droite, ainsi que pour le dos du personnage agenouillé au premier plan, plaçant devant eux, au centre, la figure blanche du Christ. Le traitement de celui-ci est magistral : Rembrandt a dessiné avec un soin extrême le visage aux traits d'une grande noblesse et il a silhouetté le haut du corps afin qu'il se détache sur l'auréole resplendissante qui l'entoure. Le reste du corps se réduit à quelques lignes qui délimitent une forme blanche évoquant vraiment une apparition. C'est à juste titre que Rembrandt a signé et daté la plaque, montrant ainsi qu'elle était achevée.
Bibliothèque nationale de France
Pierre et Jean guérissant un paralytique à la porte du Temple
2e état
La courbe du manteau de Pierre remonte à hauteur du torse. Il s'agit du meilleur état de la gravure, le premier étant plutôt une épreuve d'état.
« Pierre et Jean montaient au Temple pour la prière de la neuvième heure. Or on apportait un impotent de naissance qu'on déposait tous les jours à la porte du Temple appelée la Belle, pour demander l'aumône à ceux qui y entraient. Voyant Pierre et Jean sur le point de pénétrer dans le Temple, il leur demanda l'aumône. Alors Pierre fixa les yeux sur lui, ainsi que Jean, et dit : « Regarde-nous. » Il tenait son regard attaché sur eux, s'attendant à en recevoir quelque chose. Mais Pierre dit : « De l'argent et de l'or, je n'en ai pas, mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazôréen, marche ! » Et le saisissant par la main droite, il le releva. À l'instant, ses pieds et ses chevilles s'affermirent ; d'un bond il fut debout, et le voilà qui marchait. Il entra avec eux dans le Temple, marchant, gambadant et louant Dieu. »
(Actes des Apôtres, III, 1-8.)
En 1629, au début de sa carrière de graveur, Rembrandt avait gravé à l'eau-forte une estampe sur le même thème dont on ne connaît que quatre épreuves - l'une est à la Bibliothèque nationale de France. Elle comporte de nombreux défauts d'exécution technique car la couche de vernis qui recouvrait la plaque dut se détériorer et l'acide pénétra de façon incontrôlée, mordant le métal de telle sorte qu'au tirage il reste une série de traits obliques au centre de l'image. Cependant le dessin est déjà très réussi dans des zones comme le corps du paralytique ou les détails des deux personnes qui gravissent la côte et passent la porte. Selon Ger Luitgen, il semble que, dans cette estampe de plus grandes dimensions qu'à l'accoutumée (221 x 169 mm), Rembrandt souhaitait voir s'il pouvait se servir en gravure de traits semblables à ceux du dessin.
L'estampe de 1659 montre, au contraire, la technique magistrale qui est celle de Rembrandt trente années plus tard. La composition rappelle celle du Triomphe de Mardochée; dans l'une comme dans l'autre, le puissant arc rabaissé joue un rôle essentiel, encadrant les personnages les plus importants. La lumière remplit une grande partie des embrasures et les colonnes compensent l'horizontalité de la partie inférieure des deux compositions, grouillantes de monde. Les personnages principaux se trouvent dans la moitié gauche de la gravure, alors qu'à droite on entrevoit des lignes de fuite vers le fond, beaucoup plus marquées dans l'estampe de saint Pierre et saint Jean grâce aux marches de l'escalier qui mène au Temple, flanqué d'une multitude de petites figures.
Si l'on en vient à analyser les différents éléments de la composition, bien que les personnages principaux en soient les apôtres et le paralytique que saint Pierre protège de ses bras, le regard se porte vers les deux vieillards qui contemplent la scène, adossés à la colonne, sur la gauche. Leurs yeux attirent notre regard et leurs mines, incrédules et sournoises, sont très inquiétantes. Devant la porte du Temple, au-dessous d'un dais et très éclairés pour permettre de les distinguer malgré leur petite taille, on remarque le grand prêtre et le gardien du Temple : vers eux arrive le nuage de fumée provenant d'un grand brasier situé sur la plate-forme qui mène au Temple. Par-derrière s'élève une grande masse architecturale, inspirée sans doute d'une estampe italienne, qui rappelle le Castel Sant'Angelo. La partie droite est fascinante, avec la foule de gens qui s'entassent sur les marches pour regarder le sacrifice, selon une composition en angle de grande profondeur, et, au fond, les murs du Temple puis les arbres, derrière, qui ferment la composition.
Isadora Rose-de Viejo signale l'influence de cette estampe dans le tableau de Murillo La Guérison du paralytique dans la piscine sabbatique (Londres, The National Gallery).
Ce chef-d'œuvre est la dernière gravure à thème biblique de Rembrandt.
Biblioteca Nacional de Madrid
Le Baptême de l'eunuque
2e état
La nappe d'eau et le tertre à droite sont ombrés par des tailles de burin.
« L'Ange du Seigneur s'adressa à Philippe et lui dit : « Pars et va-t'en, à l'heure de midi, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza ; elle est déserte. » Il partit donc et s'y rendit. Justement un Éthiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, reine d'Éthiopie, et surintendant de tous ses trésors, qui était venu en pèlerinage à Jérusalem, s'en retournait, assis sur son char, en lisant le prophète Isaïe [.]. Il [Philippe] lui demanda : « Comprends-tu donc ce que tu lis ? - Et comment le pourrais-je, dit-il, si personne ne me guide ? » [.] Chemin faisant, ils arrivèrent à un point d'eau, et l'eunuque dit : « Voici de l'eau. Qu'est-ce qui empêche que je sois baptisé ? » Et il fit arrêter le char. Ils descendirent tous deux dans l'eau, Philippe avec l'eunuque, et il le baptisa. »
(Actes des Apôtres, VIII, 26-28, 34, 36-38.)
Ce thème se développe surtout à partir du 16e siècle dans les Pays-Bas du Nord et se diffuse par les gravures du Maître A. C. (1524), de Maerten van Heemskerk (1569) et de Philippe Galle (1582). Il devint l'un des cinq thèmes religieux les plus populaires au début du 17e siècle avec La Fuite en Égypte, Les Pélerins d'Emmaüs, Saint Jean prêchant, Tobie et l'Ange.
Rembrandt fut certainement inspiré par les œuvres de Pieter Lastman (1583-1633) dont il avait été l'élève durant six mois en 1624, et qui traita à quatre reprises ce sujet en peinture. Cependant l'artiste renouvela l'interprétation du sujet dans une peinture de 1629-1630, interprétation qu'il reprit dans sa gravure dix ans plus tard et dans un dessin conservé à Munich, non daté. Plusieurs œuvres traitant ce thème, dues à divers artistes, témoignent de l'influence des créations de Rembrandt.
Graphiquement, l'estampe est traitée très librement à la manière d'un dessin. Quelques tailles plus vigoureuses sur le dos du garde, la croupe du cheval, le costume du page et de Philippe rythment la composition. Dans la clarté d'une journée ensoleillée, vers midi semble-t-il, puisque aucune ombre portée ne se distingue, l'eunuque agenouillé se détache sur la tunique de l'apôtre qui étend ses mains sur lui. Ils composent tous deux une structure unique, symbolisant la foi ou la grâce commune qui les imprègne à l'instant du baptême. Le parasol, grande auréole, les nimbe. Autour d'eux, l'artiste multiplie les éléments narratifs, situant personnages, animaux et motifs d'une manière théâtrale. Dans un décor de paysage à peine esquissé d'une pointe très légère et très libre, le char de l'eunuque est arrêté. Une figure équestre superbement costumée, immobile, veille sur les personnages de la scène principale, à quelque distance d'eux, avec le petit page accompagné d'un chien tenant le casque à plumet du dignitaire. Philippe et l'eunuque sont au bord du cours d'eau. La scène, empreinte de gravité et de recueillement, est troublée seulement par l'agitation des animaux.
Bibliothèque nationale de France
Le Baptême de l'eunuque
La plaque a été très légèrement retravaillée, entre les sabots arrière du cheval, dans l'eau derrière Philippe et l'eunuque, dans l'ombre de la manche de Philippe et à côté de lui, à gauche de sa tête, dans le parasol et sur les rayons de la roue arrière du char.
Bibliothèque nationale de France
Les Juifs dans la synagogue
1er état
Le pied droit et le manteau du personnage au premier plan à gauche sont blancs.
L'estampe eut plusieurs titres. Le premier fut Les Pharisiens dans le Temple, dans l'inventaire Clément de Jonghe en 1679, puis Le Temple des juifs dans l'inventaire de la collection Valerius Röver en 1731, enfin La Synagogue des juifs dans le catalogue de Gersaint en 1751.
Ce pourraient bien être les pharisiens, ces gardiens de la Loi, qui commentent les Écritures entre eux, dans le Temple. Plus récemment, Münz a évoqué le repentir de Judas représenté assis de dos, isolé après qu'il eut rapporté les trente deniers et prononcé cette phrase : « J'ai péché car j'ai trahi le sang d'un innocent. » (Matthieu, XXVIII, 3-4.) Dans l'Évangile, cependant, Judas ne s'attarde pas dans le Temple ; il jette les pièces dans le sanctuaire, se retire et va se pendre.
Cette petite estampe exerce une emprise singulière sur le spectateur. Rembrandt recrée l'atmosphère d'un lieu sacré, imprégné du mystère divin. Dans une luminosité sourde qui filtre par les étroites fenêtres d'un espace horizontal tronqué avec audace dans sa verticalité, les vieillards de type oriental, enveloppés dans leur manteau comme autant de prophètes et de patriarches de l'Ancien Testament, déambulent à pas feutrés. Il semble que cette déambulation dans les deux sens n'ait ni commencement ni fin. Le cheminement lent, pesant, de ces personnages méditant, priant, murmurant dans des attitudes concentrées - têtes baissées, épaules voûtées -, accompagnées de gestes persuasifs, évoque d'interminables conciliabules à voix basse, environnés des « bruits du silence ».
La perspective crée une véritable illusion du nombre. Temps bibliques ou contemporains, cette scène d'une dimension intemporelle est fondée sur l'observation et sur une réelle communion avec l'importante communauté juive d'Amsterdam. Rembrandt habitait depuis 1639 la St Anthoni Breestraat (aujourd'hui Jodenbreestraat) dans le quartier juif portugais où une synagogue inspirée du temple de Salomon avait été ouverte la même année. Il avait des amis et des relations parmi eux, notamment le rabbin Manasseh ben Israël, qui habitait la même rue que l'artiste. Rembrandt le portraitura en 1636 et illustra un de ses livres en 1655.
Bibliothèque nationale de France
Saint François sous un arbre priant
1er état
Esquisse à la pointe sèche, avec une partie inachevée. L'une des cinq épreuves connues du 1er état.
Épreuve sur papier indien avec un effet d'encrage sur la partie gauche. Une empreinte digitale, probablement celle de l'artiste, est visible en haut à droite. Il est possible qu'il ait tenu sa plaque fraîchement encrée avant l'impression.
C'est la dernière représentation par Rembrandt d'un saint dans un paysage. Gersaint fut le premier en 1751 à identifier saint François d'Assise, né en 1182, fondateur de l'ordre des Franciscains, dont l'iconographie prolifique est cependant rare en Hollande. Dans les inventaires précédents, l'estampe était signalée sous le nom de Saint Jérôme. En effet, l'artiste ne s'est pas conformé entièrement à l'iconographie traditionnelle du saint. Seul le paysage semble y correspondre. Saint François s'était retiré en 1225 sur le mont d'Alverne en Toscane pour y faire retraite, accompagné de frère Léon qui fut témoin de la scène de la vision. Le jour de l'Exaltation de la Sainte Croix, le Christ crucifié apparut à saint François sous l'apparence d'un petit séraphin, et des rayons lumineux imprimèrent dans son corps les stigmates de la passion du Christ. Le comte Catanio fit bâtir pour lui un monastère : il semble que Rembrandt ait souhaité figurer ici ce site. Cependant la scène représentée précède la vision, thème habituellement traité par les artistes. Le saint, agenouillé, les mains jointes appuyées sur un livre - probablement la Bible -, prie devant un grand crucifix dressé dans l'ombre des feuillages, les yeux clos, dans un profond recueillement. Il est figuré sous l'aspect d'un vieillard avec une longue barbe, alors qu'il est mort à trente-huit ans. Mais saint François fut représenté barbu, puis imberbe à partir de Giotto, puis de nouveau barbu à partir de la Contre-Réforme.
Les deux états consacrés à la prière de saint François traduisent chez le saint un bouleversement mystique auquel correspond le paysage d'ombre et de lumière. Dans le 1er état, l'impression de mystère qui environne le Christ est créée par le noir intense, velouté, envoûtant, des profondes tailles de pointe sèche sur le papier indien au ton chaud. Elle est accentuée par la clarté inondant la partie droite où saint François prie. L'impression d'éblouissement est rendue par le graphisme esquissé et discontinu des feuillages et de frère Léon. Celui-ci, agenouillé sous son abri de chaume, n'a d'ailleurs pas toujours été identifié par les historiens tant la sensation d'aveuglement est présente.
Au 2e état, la plaque retravaillée à l'eau-forte est terminée et l'atmosphère transformée. Une tension dramatique remplace la spiritualité qui baignait la scène. L'ombre dense entoure le saint dont le visage remodelé et tourné vers la gauche ne reflète plus un paisible recueillement mais une violente émotion. La tonalité plus argentée du 2e état sur le papier européen unifie la composition.
Bibliothèque nationale de France
Adam et Ève
2e état
Le contour du tertre sur lequel Adam est à demi assis, discontinu dans le 1er état, est repris et accentué.
Par sa structure même, la composition révèle au spectateur le rôle des différents « acteurs ». Ève, par sa position au centre de la feuille, s'impose comme le personnage principal. Le dragon et l'arbre de la connaissance au premier plan, confondus dans une seule structure, enveloppent le couple qui apparaît à contre-jour, isolé du jardin d'Éden, en pleine clarté en arrière-plan et en contrebas. Rembrandt a livré le message essentiel, qu'il complète par les gestes très explicites des personnages. Le démon tentateur tient dans sa gueule une pomme par le pédoncule. Ève en a déjà saisi une et la désigne à Adam qui tend la main et la frôle, tout en désignant le ciel dans un geste de prudence, d'hésitation. Il évoque l'interdiction. C'est l'instant décisif, celui du choix de ces deux êtres sauvages du commencement du monde. Leurs corps, peut-être symboliquement, semblent être peu à peu envahis par l'obscurité.
Un seul animal se promène dans le jardin d'Éden, un éléphant, symbole de la vertu chrétienne, de tempérance et de sagesse, par opposition au dragon. Rembrandt avait réalisé plusieurs études d'éléphant vers 1637. Il était rare de voir des animaux d'Asie ou d'Afrique en Europe aux 17e et 18e siècles. Or un éléphant femelle né à Ceylan en 1630 avait été promené à travers l'Europe où il mourut en 1655. Il se peut que Rembrandt l'ait dessiné. Dans un traité destiné aux peintres paru en 1670, Willem Goerec écrit : « Il faut saisir sa chance principalement lorsqu'il s'agit de lions, de tigres, d'ours, d'éléphants, de chameaux et d'autres animaux rares similaires, que l'on ne voit pas fréquemment mais dont on a parfois besoin dans ses compositions et que l'on doit connaître. » Deux études préparatoires d'Adam et Ève sont aussi connues.
Cette représentation, l'une des plus marquantes dans l'iconographie du péché originel, n'a pas toujours été appréciée, et les remarques de certains catalographes sont déconcertantes. Il est vrai que le plus souvent, dans les œuvres d'art, Adam et Ève étaient jusque-là très idéalisés. La célèbre estampe de Dürer, notamment, en offrait un exemple significatif : elle concrétise, dans les corps fascinants de beauté, l'aboutissement des recherches du Maître sur les proportions idéales du corps humain. En 1751, Gersaint écrit : « Comme Rembrandt n'entendoit point du tout travailler le nud, ce morceau est assez incorrect, et les têtes sont tout à fait désagréables ; cependant il y règne un bel effet [.].» Bartsch, Claussin, Wilson, Nagler formulèrent le même jugement. Au 19e siècle, en 1859, Charles Blanc donne une tout autre opinion : « Il n'est pas de graveur, au contraire, qui dans ce travail libre de Rembrandt, ne reconnaisse un maître [.]. Quelle admirable indication de l'Éden que ce paysage rempli de soleil [.]. »
En 1963, Boon fait cette remarque : « Dans ses œuvres de 1638, Rembrandt hésite parfois entre l'élaboration minutieuse des détails et la fixation rapide d'une première impression. Son Adam et Ève emprunté à une estampe de Dürer est encore très descriptif. » Il est difficile de saisir ce que K. G. Boon a voulu évoquer, le couple primitif représenté par Rembrandt étant à l'opposé de celui de Dürer. Mais peut-être pensait-il au Christ aux limbes, une gravure du maître allemand où un dragon est figuré à la place du serpent. Rembrandt, qui avait acquis cette œuvre, s'en est sans doute inspiré pour le tentateur. Hugo van der Goes avait aussi figuré un dragon dans Le Péché originel. C'est en effet uniquement après la faute que le serpent a été condamné à ramper sur le sol.
Bibliothèque nationale de France
Le Sacrifice d'Abraham
État unique
La ligne qui indique le contour de l'aile gauche de l'ange a été effacée et dessinée à nouveau.
Le sacrifice d'Abraham préfigure pour les juifs la confiance absolue en la parole de Dieu, et pour les chrétiens le sacrifice du Christ en croix ou celui non sanglant de l'eucharistie. Il a connu une abondante iconographie. Rembrandt l'avait traité dans un tableau en 1636 d'une manière très théâtrale, tout à fait opposée à la délicatesse et à la sensibilité de la scène représentée dans l'estampe. Ici, les trois figures baignées par la fulgurante clarté oblique qui fend les nuages, liées par la simultanéité des gestes, réunies par les ailes encore frémissantes de l'ange, paraissent sculptées dans un seul bloc de lumière. L'intensité de l'action atteint son paroxysme. La vibration des ombres et des lumières, la profondeur suggérée par la courbure des ailes de l'ange repoussant l'obscurité des nuages donnent toute son ampleur à cette scène à la fois violente et pathétique. Isaac est consentant et Abraham, bouleversé, accablé, le serre tendrement contre lui. La force avec laquelle l'ange écarte les bras d'Abraham contraste avec la soumission des deux personnages. Dans un buisson, sous l'aile de l'ange à gauche, se distingue le bélier qui remplacera Isaac.
Rembrandt a traité à plusieurs reprises le thème de l'apparition en gravure : Abraham recevant les trois anges, L'Ange disparaît devant la famille de Tobie, L'Annonciation aux bergers, Les Pèlerins d'Emmaüs, Le Christ apparaissant aux apôtres ; à chaque fois il adapte sa manière à la manifestation d'un miracle.
Bibliothèque nationale de France
Joseph racontant ses songes
2e état
Cet état est considéré comme le meilleur. Les tailles qui ombraient l'espace entre le bras gauche de Joseph et le visage de la jeune femme, au 1er état, ont été effacées au brunissoir. Au 3e état, les visages et le rideau seront davantage ombrés.
« Israël (Jacob) aimait Joseph plus que tous ses autres enfants, car il était le fils de sa vieillesse, et il lui fit faire une tunique. Ses frères virent que son père l'aimait plus que tous ses autres fils et ils le prirent en haine, devenus incapables de lui parler amicalement.
Or Joseph eut un songe et il en fit part à ses frères qui le haïrent encore plus. Il leur dit : « Écoutez le beau rêve que j'ai fait : il me paraissait que nous étions à lier des gerbes dans les champs, et voici que ma gerbe se dressa et qu'elle se tint debout, et vos gerbes l'entourèrent et elles se prosternèrent devant ma gerbe. » Ses frères lui répondirent : « Voudrais-tu donc régner sur nous en roi ou bien dominer en maître ? » et ils le haïrent encore plus à cause de ses rêves et de ses propos. »
(Genèse, XXXVII, 1-11.)
Avec cette estampe, Rembrandt prouve qu'il est capable de composer, sur une surface plane de 110 par 83 mm, une image où apparaissent treize personnages parfaitement individualisés dans leur expression et disposés de telle façon que chacun manifeste sa propre personnalité sans éclipser l'autre. On conserve trois dessins en rapport avec cette estampe - entre autres un admirable visage de vieillard, dont l'artiste se servira plus tard pour le personnage de Jacob, et une grisaille sur carton comportant la scène complète, même si d'importantes variantes y ont été apportées entre 1631 et 1638, ce qui montre que Rembrandt s'intéressa à cette composition pendant huit ans.
L'image se développe en profondeur sur onze plans, un nombre presque égal à celui des personnages. À partir de la femme assise dans le coin droit, que l'on voit de dos, un livre entre les mains (pour rappeler peut-être que l'histoire de Joseph préfigure celle de Jésus-Christ), le regard du spectateur peut parcourir l'estampe de long en large jusqu'à l'arrière-plan, pénétrer dans l'espace fictif de la pièce et ressortir par la porte du fond. La composition s'organise selon deux axes qui partent des coins de l'estampe pour se croiser au centre, sur le personnage principal, le jeune Joseph. La figure de chaque personnage est parfaitement étudiée de façon à s'articuler avec celles qui l'entourent tout en s'en distinguant clairement. Pour cela, Rembrandt a joué sur les différentes nuances du clair-obscur avec lesquelles il guide le regard. La figure de Joseph, qui se détache sur la cape sombre de l'un de ses frères, et celle de Sarah, derrière celle d'un autre, peuvent servir d'exemples.
Dans cette petite image, on trouve également tout un répertoire d'expressions : l'air ingénu de Joseph en train de raconter que, s'il en croit ses songes, sa famille devrait un jour se prosterner devant lui ; l'air pensif avec lequel son père, Jacob, le regarde, comme s'il pressentait les jalousies et les malheurs que cela ne manquerait pas d'entraîner ; la tristesse de sa mère et enfin toute la gamme d'expressions de ses frères, allant de l'étonnement et de la perplexité de celui qui est à gauche jusqu'à l'air arrogant de celui qui est au centre. Pour souligner le sens de ce récit, l'artiste a gravé au premier plan à gauche un petit chien en train d'en mordre un autre avec férocité.
Biblioteca Nacional de Madrid
L'Annonciation aux bergers
3e état
Au 1er état, tous les éléments de la composition sont dessinés légèrement et la frange centrale, qui sépare la Gloire des bergers est très travaillée. Au 2e état, la plaque est presque totalement achevée. En ce 3e et ultime état, l'artiste obscurcit les hautes branches de l'arbre mort, la figure que l'on aperçoit au-dessous, les deux vaches qui courent à droite et les ailes de l'ange, afin de d'intensifier l'éclat de la Gloire et pour que la relation entre celle-ci et les bergers soit plus directe.
« Il y avait dans la région des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. Un ange du Seigneur se tint près d'eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté ; et ils furent saisis d'une grande crainte. Mais l'ange leur dit : « Soyez sans crainte car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Messie, Seigneur, dans la ville de David. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche. » Et soudain se joignit à l'ange une troupe nombreuse de l'armée céleste, qui louait Dieu. »
(Luc, II, 8-14.)
Rembrandt a situé le passage biblique dans un cadre nocturne impressionnant. Au ciel luit, fulgurante, une gloire nimbant une multitude d'angelots ainsi qu'un ange dont l'apparition affole les bergers et leurs troupeaux, qui s'enfuient. La petite échelle à laquelle sont représentés hommes et animaux par rapport à la nature rend cette composition grandiose. La scène se passe dans une clairière, au bord d'une rivière que traverse un pont à deux arches ; sur l'autre rive, en haut d'une montagne, on devine une forteresse qui resplendit, illuminée par le halo qui nimbe l'ange. Celui-ci lève une main en un geste de harangue tandis que l'autre s'abaisse en signe d'apaisement. Au-dessus de lui voltigent les angelots parmi les rayons qui émanent de l'Esprit saint. Sur terre, les croupes des animaux semblent onduler tandis qu'ils courent en tous sens.
L'artiste travailla beaucoup la planche pour obtenir ces effets dramatiques de clair-obscur, qui vont du blanc étincelant de la gloire au noir absolu du sous-bois. Pour sa première estampe « nocturne », il associa l'eau-forte, le burin et la pointe sèche, parvenant ainsi à créer des surfaces d'un noir velouté comparables à celles que l'on obtient avec la technique dite de la manière noire, ou mezzotinto, que Rembrandt connaissait, mais qu'il n'employa pas. Il commença par graver à l'eau-forte toute la composition, se servant de la pointe sur le vernis comme s'il dessinait une esquisse rapide sur papier avec un crayon, quitte à être moins précis. Ensuite, grâce à un lacis de tailles et de contre-tailles très fines et très serrées afin de bien retenir l'encre, il travailla les zones de la partie centrale qu'il voulait plus obscures. Ayant obtenu l'effet souhaité grâce à la morsure de l'acide sur la planche, il grava les différentes nuances de clair-obscur avec des incisions au burin, plus ou moins fines, qu'il rehaussa à la pointe sèche en quelques endroits.
Le plus remarquable dans cette estampe est la lumière projetée par la gloire. Rembrandt en a étudié l'effet sur chaque animal, chaque plante, chaque personnage. L'affolement des animaux se traduit par une explosion de mouvement. Il en résulte une image spectaculaire, aux effets totalement picturaux, qu'il aurait pu adapter à une peinture de grandes dimensions. Royalton-Kisch suggère que Rembrandt a peut-être peint le tableau correspondant, aujourd'hui disparu, comme il l'a fait dans le cas d'estampes également très achevées, telles que la Descente de la Croix de 1633 ou le Christ devant Pilate de 1634. En se fiant davantage aux filigranes du papier de l'édition qu'à la gravure elle-même, il croit également possible la collaboration de Johannes van Vliet dans l'exécution du 1er état de la planche.
Bibliothèque nationale de France
La Fuite en Égypte, effet nocturne
1er état
La main droite de Joseph n'est pas ombrée, elle le sera au 2e état ainsi qu'une partie de la tête de l'âne.
« Quand ils se furent retirés, voici que l'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et dit : « Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte [.] car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr. » Lui, se levant, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte. »
(Matthieu, II, 13-14.)
Rembrandt fut très sensible à ce thème tout au long de sa carrière. Il y consacra huit estampes de 1627 à 1654, dont cinq sur le cheminement des fugitifs et trois sur la halte au cours du trajet, selon l'iconographie traditionnelle. L'interprétation stylistique et technique est très variée. Elle traduit non seulement l'évolution de l'artiste à travers un même thème mais aussi sa surprenante créativité : eau-forte légère au trait, semblable à un dessin à la plume ou à la pointe d'argent, plus élaborée avec des recherches d'effets lumineux, scènes nocturnes aux techniques mêlées, et même modifications d'une planche d'Hercule Seghers (1589-1590 - ca 1638), artiste admiré par Rembrandt, toutes les manières exploitées par l'artiste et même l'un de ses tout premiers essais alors qu'il était âgé de vingt-deux ans apparaissent dans les estampes traitant ce thème.
Dans cette Fuite en Égypte nocturne qui s'accompagne des reflets vacillants d'une lanterne et d'un pâle clair de lune, Rembrandt traduit par une succession d'états la progression de la nuit et de son oppressante obscurité pour cette famille de fugitifs. Le clair de lune qui les éclairait faiblement au début en se glissant entre d'obscurs nuages s'estompe peu à peu. La lanterne que tient Joseph tout en tirant l'âne par la bride ne projette plus qu'une faible clarté sur Joseph, la tête de l'âne et le voile de la Vierge sous lequel se devine l'Enfant. Le ciel s'est totalement assombri, il se confond avec les arbres et les personnages se distinguent à peine dans l'ombre d'une opacité de plus en plus angoissante. La subtilité des personnages et des contours de l'âne esquissés par la lumière ne s'apprécient pleinement que dans les premières impressions comme celles-ci.
Bibliothèque nationale de France
La Présentation au Temple dite en manière noire
État unique
La présentation de l'Enfant au Seigneur, prescrite par la Loi de Moïse, a lieu dans le Temple. Rembrandt consacra trois estampes très différentes à ce thème. Celle-ci, la dernière, est la plus fascinante par son étrangeté. Seuls les personnages essentiels sont réunis cette fois dans l'édifice plongé dans l'obscurité, évoqué par des voûtes et des piliers. La clarté qui passe à travers les rideaux entrouverts d'une fenêtre tout au fond donne une certaine profondeur à l'ensemble. L'atmosphère sereine ou biblique des scènes précédentes a fait place au mystère. Ouvre visionnaire et surréaliste, animée par de violents contrastes d'ombre profonde et de lumière éblouissante, cette composition pyramidale est centrée sur une figure fantastique, le gardien du Temple. Celui-ci, revêtu de précieuses étoffes scintillantes dans l'obscurité, portant une haute coiffe, brandit en étalant sa cape une crosse orfévrée, flamboyante.
Au premier plan, le grand prêtre au manteau de brocard et d'orfroi rutilant est assis sur une estrade ; agenouillé devant lui le vieillard Siméon, « un homme juste et pieux », le visage aux yeux clos illuminé par une vive clarté et auréolé, tient Jésus, lui aussi auréolé, dans ses bras. Il a reçu la révélation de l'esprit saint : le sauveur qu'il attendait et qu'il verrait avant son trépas est cet enfant. L'espérance dans sa venue l'a maintenu en vie jusque-là. « Maintenant, Seigneur, tu laisses aller ton serviteur en paix. » (Luc, II, 22-38.) Joseph et Marie sont agenouillés à droite, dans la pénombre. Anna, prophétesse au grand âge, qui servait Dieu en jeûnes et en prières nuit et jour dans le Temple, vient d'avoir aussi une révélation. Elle se distingue à peine, effleurée par des lueurs surgies entre les tailles, à l'extrême droite.
Plutôt que de se plier à l'iconographie habituelle et de figurer un autel, ou le sacrifice d'Abraham, ou encore un linge blanc préfigurant le linceul, Rembrandt a choisi le style baroque, l'emphase, l'éclairage artificiel, pour évoquer par le surnaturel la Nouvelle Alliance de Dieu avec son peuple, qui sera scellée par le sacrifice du Christ sur la croix.
Bibliothèque nationale de France
La Résurrection de Lazare
5e état
Les états antérieurs 2, 4 et 7 ont été éliminés et sont maintenant considérés comme des épreuves. Cinq états sont admis actuellement. À partir de l'actuel 3e état, l'artiste a changé la posture de la mère en bas à droite ; en effet, au lieu d'être de dos et de faire le geste de se pencher vers l'arrière, elle apparaît de profil et se penche vers l'avant. Dans le nouveau 4e état, l'artiste coiffe d'un haut chapeau l'homme qui, épouvanté, a les bras ouverts. Dans le 5e état, exposé ici (auparavant, le 8e), l'artiste a changé le visage de la jeune fille qui se trouve en bas de la figure précédente ; il a également effectué de nombreuses retouches sur sa jambe et coiffé d'un bonnet le vieillard sur la gauche. À partir du 5e état, il effectue de petites interventions sur la plaque afin de renforcer les zones détériorées par les tirages successifs.
Lazare, frère de Marthe et Marie, était mort depuis quatre jours et il avait été enterré dans une grotte dont une pierre protégeait l'entrée. Marthe demande à Jésus qu'il le ressuscite et celui-ci prononce alors les paroles que l'on utilise encore lors des messes d'enterrement :
« « Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » [.]. Ils enlevèrent la pierre et Jésus, levant les yeux au ciel, [.] s'écria d'une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d'un suaire. ». (Jean, XI, 25-44.)
Gravée en 1632, La Résurrection de Lazare est, par ses dimensions, l'une des plus grandes estampes de Rembrandt ; elle est aussi la plus théâtrale. Le geste de Jésus et la mise en scène, grandiloquente et artificieusement baroque, sont peu habituels chez cet artiste, mais logiques à cette époque, où sa carrière en est encore à ses débuts ; c'est pourquoi les gestes reflétant la frayeur des juifs, témoins du miracle, paraissent exagérés, artificiels. Sans doute Rembrandt voulut-il imiter Rubens, dont tous connaissaient les tableaux grâce aux copies gravées par un groupe d'excellents professionnels. Une autre raison qui incita peut-être Rembrandt à graver cette estampe fut de la comparer à celle de son compagnon et, d'une certaine façon, rival, Jan Lievens sur le même thème. Leurs estampes respectives correspondent l'une et l'autre à des tableaux, on peut voir celui de Lievens à la Chicago Brighton City Art Gallery et celui de Rembrandt au Los Angeles County Museum of Art.
Le plus important dans cette estampe, ce sont les nouveaux effets de clair-obscur auxquels parvient Rembrandt. Un intense rayon de lumière provenant du centre du côté droit traverse obliquement le milieu de la scène et va heurter le rocher qui sert de tombe à Lazare. Des deux côtés de la fente que forme la tombe, les personnages qui assistent au miracle s'assemblent et gesticulent de différentes façons. Deux des figures du groupe du fond ouvrent les bras, en des gestes de perplexité exagérés, tandis que celles qui sont situées à la gauche du Christ ou derrière lui sont plus réservées ; la composition est très étudiée : ainsi, pour contrebalancer l'effet de raccourci de l'homme qui bascule en arrière sous l'effet de l'étonnement et de la peur, la femme qu'il a placée devant s'incline vers Lazare ; le blanc de leurs figures est compensé par la figure de la femme, presque entièrement noire - sans doute s'agit-il de Marthe ou de Marie -, qui se tient sur la droite, de dos et à contre-jour, selon un effet très utilisé dans l'art baroque pour ériger une barrière entre le spectateur et la scène. Divisant la composition en son centre et formant un axe vertical très puissant, qui sert aussi de barrière à la lumière, apparaît la figure du Christ, un Christ apollinien, deux fois plus grand que les autres personnages. La main droite posée sur la taille et la gauche donnant un ordre, il ressemble davantage à un empereur romain qu'à Jésus. La mise en scène tient plus de la représentation théâtrale que de l'image religieuse fidèle au texte sacré, dans laquelle on ne saurait justifier que la grotte gigantesque soit ornée de riches tentures aux armes dignes d'un important guerrier arabe. L'ingéniosité de la scène, baroque, soucieuse avant tout de produire de l'effet, contraste avec le reste de l'œuvre gravé de Rembrandt.
On a souvent remis en question l'authenticité de cette gravure et divers spécialistes ont envisagé l'intervention de Bol, Lievens ou van Vliet, mais à l'heure actuelle, après avoir étudié les épreuves conservées dans différentes collections et analysé les filigranes du papier, on pense qu'il est exclusivement l'œuvre de Rembrandt et que les différents états, jusqu'au cinquième que l'on considère comme le définitif, furent gravés par Rembrandt dans un bref laps de temps. Il s'est servi de deux types de traits très différents pour obtenir les teintes du clair-obscur : certains larges et profonds qui lui permettent d'obtenir les noirs qui forment le demi-cercle du premier plan à gauche, d'autres très fins avec lesquels il grave la figure de Lazare, la tombe et les personnes qui regardent, ahuries, ce miracle. La légèreté de ces rayures fit que la plaque se détériora rapidement après le 5e état et obligea à retoucher certaines zones que l'on avait perdues, même du vivant de Rembrandt, sans qu'il y ait pour autant d'états nouveaux. Dans cette estampe, la plus importante de cette première période d'Amsterdam, Rembrandt veut montrer ce qu'il est capable de faire en gravure.
Bibliothèque nationale de France
Le Christ devant Pilate
2e état
La signature et la date au-dessus de la voûte et sous la pendule au 1er état sont maintenant dans la marge du bas et la date 1635 est modifiée : Rembrandt f. 1636 cum privile. Le groupe de personnages au centre - Pilate et les hommes devant lui -, qui n'était pas représenté, l'est maintenant. Des travaux sont rajoutés en plusieurs endroits (foule, pilier, horloge), suivant les retouches effectuées sur l'épreuve du 1er état du British Museum. Au 3e état, l'épaule droite de l'homme devant Pilate sera effacée au brunissoir et la jambe droite du Christ allongée. Quelques travaux seront ajoutés au 4e état. Une nouvelle inscription dans la marge du bas : Rembrandt pinxit. Malboure excud. Rue St. Iacques au dessus de St. Benoit a l'Imprimerie de taille douce. Malboure était actif à Paris vers 1740.
L'un des plus grands cuivres de Rembrandt aurait été exécuté au cours de deux années. Il reproduisait une grisaille conservée à la National Gallery, à Londres. Suivant l'exemple de Rubens, l'artiste s'essayait à la gravure de reproduction. Il avait commencé en 1633 avec La Descente de Croix exécutée d'après une peinture du cycle de la Passion que lui avait commandée Frédéric-Henri d'Orange-Nassau. Il abandonna cependant après ces deux tentatives cette possibilité de diffusion de ses peintures par la gravure.
Cette composition en diagonale où le groupe principal - Jésus, Pilate et les prêtres dans un cône de lumière -, fait face à une marée humaine représente l'instant décisif de la condamnation du Christ. Pilate ne s'adresse pas à la foule mais aux grands prêtres selon le texte de Jean (XIX, 6) : « Prenez-le, vous, et crucifiez-le ; car moi je ne trouve pas en lui de motif de condamnation. ». Mais l'un d'eux insiste, menaçant, pour que le gouverneur romain saisisse la verge de justice, branche de frêne de plus de deux mètres qui jouait encore un rôle dans la cérémonie de réquisition et de prononciation de la peine capitale. Sur son foulard les caractères gravés sont illisibles, de même que ceux qui ornent la coiffe de l'autre prêtre, qui tend une main vers la foule. Dans la peinture en grisaille il est possible de déchiffrer JHWH ("Seigneur" en hébreu) suivi d'Al ou d'El, peut-être le début d'Elohim (Dieu). Rembrandt s'est représenté coiffé d'une casquette, derrière le hallebardier à la gauche du Christ, comme il l'a souvent fait, peut-être pour signifier la responsabilité de tout individu dans cette condamnation d'un innocent.
Jusqu'au 19e siècle, l'Ecce Homo et son pendant La Descente de Croix étaient considérés comme deux des plus belles gravures de l'artiste. Puis ces œuvres baroques, caractéristiques de la belle gravure du 17e siècle hollandais, furent attribuées à un élève de Rembrandt, Jan van Vliet. Il semble que Rembrandt ait donné des indications à van Vliet, notamment en retouchant le 1er état à la peinture à l'huile, puis ait réalisé quelques retouches également à la pointe sèche et au burin aux 2e et 3e états. Van Vliet serait l'auteur du groupe central et de l'ensemble de l'estampe.
Vingt ans séparent cette œuvre qui connut un très grand succès de celle sur le même thème, considérée maintenant comme l'un des plus grands chefs-d'œuvre de l'estampe, Ecce Homo.
Bibliothèque nationale de France
La Descente de Croix au flambeau
État unique
Série Scènes de la vie du Christ
Des états postérieurs retouchés de Basan, Bernard et Beaumont, avec les ombres du fond renforcées par des traits en diagonale en haut à droite sont connues.
« Déjà le soir était venu et comme c'était la Préparation, c'est-à-dire la veille du sabbat, Joseph d'Arimathie, membre notable du Conseil [.] s'en vint hardiment trouver Pilate et réclama le corps de Jésus. Pilate s'étonna qu'il fût déjà mort [.] et il octroya le corps à Joseph. Celui-ci, ayant acheté un linceul, descendit Jésus, l'enveloppa dans le linceul et le déposa dans une tombe qui avait été taillée dans le roc. »
(Marc, XV, 42-47.)
De toutes les représentations de la Descente de Croix dans l'art européen, cette estampe est l'une des plus impressionnantes. Le caractère dramatique de la scène provient non pas de la gestuelle des personnages et de l'atroce spectacle du corps lacéré du Christ, comme dans l'iconographie de l'époque, mais il émane précisément de la sobriété et de la retenue, selon une simplicité plus proche du classicisme que du baroque et, surtout, il provient d'un sentiment profond et sincère de la douleur humaine de la part de Rembrandt. Du corps de Jésus, il a fait ressortir les jambes, alors que l'on aperçoit à peine le visage dans la pénombre. Le linceul blanc qui l'accueille et le soutient contribue à cette impression d'effondrement du corps. C'est à peine si l'on voit les visages des hommes qui le descendent de la Croix ou de ceux qui s'approchent par-derrière, en pleine obscurité, comme une procession de la Sainte Compagnie. Le plus impressionnant, c'est le regard halluciné et la main blanche que, dans l'ombre, lève un personnage presque invisible afin de soutenir la tête du Christ.
Il s'agit là d'une estampe très représentative de la dernière époque de Rembrandt : la composition en est très claire, structurée en grands plans et gravée à partir de longues lignes parallèles. La scène est sur trois niveaux en hauteur et trois autres en profondeur. Dans la partie supérieure, la lumière d'un flambeau que tient un homme derrière la Croix illumine puissamment le drap dans lequel on descend le corps du Christ, ainsi que les jambes de celui-ci, alors que la tête reste dans la pénombre. La façon dont Rembrandt a ombré le visage, en entrecroisant à la pointe à graver des traits presque imperceptibles, et dont il l'a entouré à la pointe sèche d'une barbe très noire, afin de le faire ressortir, est remarquable. Le niveau intermédiaire est occupé à gauche par le rocher sur lequel est plantée la Croix, tandis qu'à droite un homme prépare le drap où le corps sera déposé et qu'un autre contemple la scène. Au niveau inférieur, une civière sur laquelle la lumière du flambeau arrive, assez nuancée, occupe tout le premier plan. En pénétrant dans l'estampe, dans l'obscurité presque totale sur la droite, nous distinguons un groupe d'hommes, qui s'avancent depuis le fond en baissant la tête, tandis qu'une figure impressionnante lève les bras depuis la tombe pour aider à y descendre le corps du Christ. Au fond, la masse imposante d'un édifice rectangulaire faiblement éclairé équilibre la composition.
Il n'est pas surprenant que cette estampe ait impressionné Goya, qui put la voir dans la collection de son ami Ceán Bermúdez, et que cet artiste s'en soit inspiré pour la composition de deux de ses estampes les plus célèbres. En effet, l'abominable cadavre de l'estampe n° 69 des Désastres de la guerre, intitulée Rien, c'est ce qu'il dira, rappelle beaucoup la civière couverte d'un drap ; de même, la figure blanche du chevalier mort soutenu par sa bien-aimée et la structure de grandes pierres en forme de pyramide tronquée de l'estampe n° 10 des Caprices, intitulée L'Amour et la mort, ressemblent à la partie supérieure de cette Descente de Croix.
Biblioteca Nacional de Madrid
La Mise au tombeau
1er état
Les différentes épreuves de cette Mise au tombeau sont très représentatives du travail de Rembrandt au milieu des années 1650 : elles témoignent de son intérêt pour l'expérimentation et l'exploitation maximale des différentes techniques de gravure, et des innombrables possibilités d'obtenir des images différentes à partir d'une même plaque selon l'encrage et le lavage. Enfin, sa compétence dans le choix, pour l'impression, des différents types de supports, y compris le parchemin, lui permet d'arriver à ce qu'une image paraisse unique par les effets de lumière et d'ombre, de chaleur des tons ou de brillance de l'image. Déjà en 1752, Gersaint avait noté que cette estampe présentait un intérêt majeur en raison de la variété de ses tirages.
Dans l'inventaire de Clément de Jonghe, on la cite sous l'intitulé L'Inhumation des morts selon l'Ancien Testament. La scène se passe à l'intérieur d'une énorme grotte où des hommes sont sur le point de déposer le corps du Christ dans une fosse très profonde et béante, avec l'aide d'un autre, descendu dans la fosse, qui le soutient par en-dessous. À leurs pieds, Joseph d'Arimathie et la Vierge Marie contemplent avec tristesse l'ensevelissement. Une figure vue de dos ferme la composition ; dans quelques exemplaires, cette figure semble tenir une lampe pour éclairer la scène. L'estampe a une force et une sobriété saisissantes.
La composition ne peut s'apprécier qu'au 1er état de la plaque, gravé à l'eau-forte car, à partir du 2e état, Rembrandt non seulement la recouvre d'un entrelacement de hachures d'une extrême finesse afin d'obtenir l'effet de clair-obscur, mais il commence ses expérimentations d'encrage, cachant parfois presque entièrement toutes les figures, les rendant très difficiles à distinguer.
Cet ensemble d'épreuves permet d'apprécier la variété d'images que Rembrandt obtenait en encrant la plaque de manière différente dans chaque cas. Celle du 1er état, gravée uniquement à l'eau-forte et tirée sur papier chine, montre la composition, claire et simple, et la façon dont l'artiste construisait la structure des formes à partir de lignes, pour la plupart parallèles, groupées afin de créer des taches de couleur. Dans cette image, on apprécie l'extraordinaire aisance avec laquelle le corps du Christ est dessiné.
Dans l'épreuve sur parchemin doré du 2e état de la plaque, Rembrandt réussit à concrétiser toute la douleur et le silence qui entourent un enterrement. La scène se passe dans une obscurité presque totale ; l'encre laissée sur la plaque a imprégné le parchemin, donnant une image très obscure, terriblement triste ; le corps du Christ resplendit faiblement, comme s'il s'éteignait, et sa lumière parvient à peine jusqu'aux personnages qui l'accompagnent.
Au 3e état, sur papier européen, Rembrandt a également créé une image en pénombre, en ayant recours au retroussage. Il n'y a pas de source de lumière identifiable, mais le corps du Christ et ceux des autres personnages, y compris celui qui est dans la tombe pour soutenir le corps, sont visibles grâce à une lumière provenant sans doute d'une lampe que porte le personnage de dos, au premier plan. Une autre légère clarté, que l'on aperçoit par-derrière des arcs, au-delà des formes obscures, semi-circulaires, des têtes de mort, rompt la monotonie du fond.
L'épreuve du 4e état est très différente des précédentes. Une source de clarté qui provient de la partie inférieure du Christ illumine toutes les figures qui l'entourent et permet de voir la forme de la grotte. Il s'agit là d'une épreuve dans laquelle Rembrandt a recherché de forts contrastes entre le blanc du papier et le noir de l'encre.
Selon White, L'Ensevelissement est sans doute inspiré d'un dessin du Caravage, dont Rembrandt fit une copie, conservée au Teylers Museum de Harlem ; Ackley croit cependant qu'il s'est inspiré du dessin de Perino dal Vaga qui se trouve au Fogg Art Museum, Harvard University. Le dessin de Rembrandt qui est à l'origine de cette gravure se trouve actuellement à Berlin.
Bibliothèque nationale de France
La Mort de la Vierge
2e état
La chaise dans le coin à droite est ombrée à la pointe sèche. L'état semble définitif, mais dans le 3e état quelques petits traits à la roulette, faits au 18e siècle, apparaissent.
Ce thème, qui jouit dans l'histoire de l'art d'une longue tradition iconographique, n'apparaît pas dans les Évangiles. La source textuelle la plus utilisée en est la Légende dorée de Jacques de Voragine, selon laquelle un ange apparut à la Vierge et lui annonça sa mort prochaine. Marie lui demanda que les apôtres, qui prêchaient l'Évangile aux quatre coins du monde, viennent auprès d'elle et se chargent de l'ensevelir, et voilà que tous furent ainsi miraculeusement transportés par la voie des airs jusqu'à la montagne de Sion, au chevet de la Vierge qui se mourait. Dans cette estampe, Rembrandt représente les deux points forts du récit : l'apparition de l'ange accompagné de l'Enfant Jésus et le moment même de la mort.
Il s'agit là d'une des rares estampes de grand format gravées par Rembrandt, qui, pour la composition, s'inspira sans doute de diverses sources iconographiques. L'une d'elles serait les xylographies de Dürer représentant la Naissance ou la Mort de la Vierge, qu'il avait achetées en 1638 ; on peut également évoquer un vitrail de la Oude Kerk d'Amsterdam d'après un dessin de Dirck Crabeth, une estampe de Lucas de Leyde et une autre d'Andrea Mantegna, pour la figure de l'homme aux bras ouverts qui se tient sur la droite, même si Rembrandt les a modifiés radicalement afin de les intégrer dans une image baroque, totalement personnelle.
Rembrandt a conçu la scène comme s'il s'agissait de la mort d'une reine entourée de sa cour, et non pas de celle de Marie entourée des apôtres dans son humble maison de Béthanie. Tout contribue à cet effet : le décor de la pièce, ornée de grandes tentures et de moelleux tapis, le lit à baldaquin somptueux, digne d'un palais, et la présence de trois personnages richement vêtus, de plus petite taille que le reste des figures : l'un assis en train de lire l'Écriture sainte, le grand prêtre au chevet de la Vierge et la femme au pied du lit. Ils forment un triangle que délimite le lit sur lequel gît la Vierge, et ils font que le regard est nécessairement centré sur la lumineuse figure de Marie, honorée comme la mère de Dieu et la reine des cieux.
L'estampe est pleine de contrastes de couleur, de lumière et d'ombre, de textures très variées, de manières totalement distinctes de représenter les zones inférieure et supérieure : la zone terrestre, très élaborée, est obtenue à l'aide de traits serrés et très noirs, tandis que celle du ciel, à peine suggérée par des lignes longues et parallèles, est d'une grande luminosité et d'une grande modernité. Toutefois, ce qui frappe le plus, c'est la façon dont Rembrandt a représenté la merveilleuse figure de la Vierge morte, une figure lumineuse et presque transparente, ainsi que la douleur de son entourage.
Si, dans la petite estampe de Joseph racontant ses songes gravée l'année précédente, les axes de la composition s'entrecroisaient au centre, dans celle-ci, le centre d'intérêt principal est déplacé vers la gauche et les différents plans se succèdent vers le fond parallèlement et en oblique. On distingue cinq grands groupes ou centres d'intérêt : chacun procède d'une manière distincte et joue un rôle fondamental dans la composition, configurant un plan différent en profondeur. Au premier plan, la figure assise à contre-jour en train de lire un gigantesque livre des Saintes Écritures sert de barrière face au spectateur, dont le regard est dirigé vers la zone lumineuse concentrée au-dessous du dais qui couvre le lit de la Vierge ; au deuxième plan, l'imposante figure du grand-prêtre, qui contemple la scène avec sérénité, son acolyte et une vieille femme ferment la composition sur la gauche ; au plan central se trouve la Vierge, dont la figure est gravée en traits d'une extrême finesse, de laquelle seules se détachent les mains, modelées par des traits noirs. Plus à l'arrière, derrière le lit, se pressent huit figures disposées sur différents plans et gravées à l'aide de traits plus légers à mesure qu'elles s'éloignent ; parmi celles-ci, on distingue le médecin, qui prend le pouls, et le vieux saint Pierre, qui soulève l'oreiller d'un geste plein d'affection et approche un mouchoir du visage de Marie. La femme à la figure élancée qui pleure au pied du lit est la première d'un axe qui va vers le fond de la pièce, formé par cinq autres figures ; tout en longueur, elle est d'un type qui n'a rien à voir avec ceux qu'utilise en général Rembrandt, mais elle est nécessaire ici pour l'équilibre de la composition. C'est une très belle figure, peut-être inspirée d'un modèle italien. Les deux personnages derrière elle rappellent une Vierge et un saint Jean au pied de la Croix ; au contraire, les deux figures de jeunes filles que l'on voit de dos semblent étrangères à la scène. Le plan le plus profond est occupé, comme très souvent, par une figure qui entrouvre un rideau, curieuse de voir ce qui se passe. Les taches obscures du premier et du dernier plan donnent une sensation fictive d'espace dans la chambre inondée de lumière.
La partie supérieure de l'estampe est une glorieuse exaltation qui contraste radicalement, tant par sa mise en scène que par son exécution, avec le plan terrestre. Au lieu de l'exécution minutieuse des toiles et de l'entrecroisement soigné des tailles dans les diverses directions, Rembrandt emploie des lignes plus longues et croisées avec certaine négligence, confondant celles qui correspondent aux nuages et celles du toit de la pièce. Les anges et la figure qui semble représenter Jésus enfant, sont eux aussi dessinés à main levée, avec une grande liberté, proche de la façon italienne dont gravaient les Carracci.
Biblioteca Nacional de Madrid
Saint Jérôme lisant dans un paysage italien
1er état
Rembrandt a représenté le dernier saint Jérôme de son œuvre gravé dans un paysage inspiré des gravures du 16e siècle vénitien.
Il a réalisé un dessin préparatoire daté, d'après le style, des environs de 1650 (Kunsthalle, Hambourg), à la plume, au tracé net et vigoureux. Il fixe d'un trait assuré et spontané l'essentiel de la composition. Quelques différences apparaissent dans l'estampe et concernent notamment la position de l'arbre et la répartition de l'ombre et de la lumière.
Saint Jérôme, absorbé par la lecture de la Bible, est nonchalamment assis à même le sol sur un relief de roche, dans un paysage ensoleillé. Un appentis fixé à un arbre lui procure un peu d'ombre. Un chapeau de paille a remplacé son chapeau de cardinal et seul son fidèle lion qu'il avait guéri en lui retirant une épine de la patte permet de l'identifier. On distingue sur le tronc coupé la colombe du Saint-Esprit, inspiratrice de Jérôme traducteur de la Bible. La composition s'organise de part et d'autre d'une diagonale d'ombre formée par l'arbre et le bord du torrent qui sépare deux parties lumineuses, le bas d'une colline où le saint s'est installé et le haut où se dressent une église romane et quelques constructions. Le lion aux aguets crée le lien entre ces espaces et forme la boucle de l'arabesque qui du saint se prolonge par le chemin montant jusqu'au sommet de la colline. La tunique de lumière, esquissée par quelques tailles légères, discontinues, vibrantes, donne au corps un aspect immatériel, éthéré, parmi les profonds accents de pointe sèche qui rythment l'ensemble. Les sandales du saint sont tombées de ses pieds ; ce détail aurait une signification symbolique, la préparation à la rencontre du divin.
Plusieurs manières de Rembrandt peuvent s'apprécier dans cette estampe, de l'esquisse au fini le plus élaboré. Le modelé du lion est une prouesse technique. Presque aucun contour ne cerne l'animal ; seules des tailles parallèles et des contretailles régulières d'eau-forte, des enroulements souples de pointe sèche et quelques blancs suffisent à lui donner forme et relief et à suggérer la tension musculaire qui l'anime. Par les effets du papier japon au ton jaune clair du premier état et du papier blanc du second, il semble que la luminosité douce et dorée d'un soleil voilé fasse place à l'éclat d'un soleil plus vif dans un ciel dégagé.
Certains historiens ont vu dans cette estampe une œuvre inachevée. Cependant son tirage élevé dès le 1er état témoigne du goût du public dans les années 1650 pour ces œuvres au graphisme varié. Bien plus tard, dans la deuxième moitié du 19e siècle, ces estampes plairont aussi beaucoup.
Bibliothèque nationale de France
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