L’art baroque

Bibliothèque nationale de France
Les Indes Galantes, opéra-ballet de Rameau (1735)
Les visions orientales offrent un pittoresque propre à séduire le répertoire théâtral ou lyrique. Pour son premier opéra-ballet, Jean-Philippe Rameau (1683-1764) recherche un exotisme de fantaisie : ses Indes galantes (1735) se trouvent autant en Turquie et en Perse qu’au Pérou et chez les Indiens d’Amérique. Ce sont de petits drames qui servent un grand spectacle où les costumes, les décors et les machineries tiennent le premier rôle.
Les Indes galantes symbolisent l’époque insouciante, raffinée, vouée aux plaisirs et à la galanterie de Louis XV et de sa cour. Plus tard, Mozart s’empare à son tour de l’Orient avec L’Enlèvement au sérail (1782) et La Flûte enchantée (1791).
La présence du thème oriental dans la musique multiplie les facettes sans jamais cesser de refléter nos sensibilités.
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Le baroque naît dans une atmosphère d’élan et de merveilleux, offrant une subtile alliance de « gravité tourmentée » et « d’allégresse sensuelle ». Il ne semble pas s’être épanoui en France. Quand Richelieu fonde l’Académie française (1635), institution ô combien dédiée à la promulgation de règles, il paraît annoncer le triomphe du classicisme en France. Pourtant le paysage n’est pas si simple. On y trouve poésie galante, poésie lyrique, tragicomédie, roman pastoral et roman d’aventures. Tout se passe comme si, dans la littérature française, le baroque avait précédé le classicisme, ou plutôt comme s’il succédait à un autre classicisme, celui de l’humanisme et de la Pléiade. Une partie de la Cour se laissera séduire par les machines aux effets merveilleux de Torelli dont les artifices peupleront l’opéra. Il n'est jusqu’à Corneille, en 1647, qui, empruntant aux Métamorphoses d'Ovide le thème de son Andromède, ne lui confie les innombrables transformations de décor d’une pièce dont le but principal était – de l’aveu même de son auteur – de « satisfaire la vue par l’éclat et la diversité du spectacle ». Les esprits s’habitueront aux invraisemblances et aux complaisances de l’imagination. Ils succomberont au prestige de héros grandis par les complications délicates de la préciosité.

Le Château de Vaux-le-vicomte
« Comme les jardins de Vaux étaient tout nouveau plantés, je ne les pouvais décrire en cet état. […] Cela ne se pouvait faire que par trois moyens : l’enchantement, la prophétie, et le songe… Je feins donc qu’en une nuit de printemps m’étant endormi, je m’imagine que je vais trouver le Sommeil, et le prie que par son moyen je puisse voir Vaux en songe. »
Le Songe de Vaux, œuvre de commande interrompue par l’arrestation de Fouquet, réunit des pièces en vers et en prose glorifiant les arts. La Fontaine dut faire appel à toute son imagination : lorsque le surintendant demande à son pensionné dès 1658 de chanter les merveilles de son domaine de Vaux, celui-ci est encore en chantier. Le poète utilise alors le subterfuge du rêve, s’inspirant du Songe de Poliphile, composé en 1499 par Francesco Colonna, qui raconte un voyage imaginaire dans un monde peuplé de signes hermétiques et la rencontre de Vénus dans les jardins de Cythère.
La Fontaine ne travaille cependant pas entièrement sur l’imaginaire, mais à partir de plans, épures, cartons de tapisseries, graines d’arbustes, dessins de décorations et tissus, animaux vivants disséminés dans le parc. Il exprime son amour des arts, son goût pour la promenade dans les jardins, si propices au rêve, le plaisir que lui procure la vision du beau. Ce Songe inachevé trouvera son aboutissement dans Les Amours de Psyché et de Cupidon (1669) où se trouvent réunis quatre amis dont l’un s’appelle… Poliphile.
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Voleries et machines pour un théâtre
Le machiniste italien Torelli – ingénieur, mathématicien, scénographe et peintre – est à l’origine d’un système qui, à l’aide de leviers, de treuils et de contrepoids permettait en un instant de changer la totalité d’un décor de théâtre.
Envoyé à Paris par le duc de Parme, à la demande de la régente Anne d’Autriche, il adapta au goût français la pièce de Giulio Strozzi La Finta pazza, qui avait été donnée en 1641 lors du carnaval de Venise, et il y adjoignit des ballets créés par Balbi (chorégraphe du duc), spécialement conçus pour divertir le jeune Louis XIV, alors âgé de sept ans.
Soucieux de garder trace de ses cinq décors, Torelli fit graver les figures en taille-douce par Nicolas Cochin d’après ses propres esquisses et dédia à Anne d’Autriche le livre, publié un mois avant la représentation.
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La disgrâce de Fouquet
Pour fêter l’achèvement du château qu’il s’est fait construire à Vaux-le-vicomte, le surintendant des finances Nicolas Fouquet organise une grande réception pour le roi et la cour le 17 août 1661. Le célèbre cuisinier Vatel prépare le dîner, servi dans une vaisselle d’or. Molière et Lully présentent leur première comédie-ballet : Les Fâcheux. Un feu d’artifice somptueux clôt la soirée. Mais le roi est blessé par une telle munificence et fait arrêter Fouquet peu après. Ébloui par ce qu’il a vu, Louis XIV fera pourtant bientôt appel aux créateurs de Vaux, l’architecte Louis Le Vau, le peintre Charles Le Brun et le paysagiste André Le Nôtre pour édifier Versailles.
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Un équilibre insaisissable
L’eau en mouvement nous porte au cœur de la rêverie baroque : elle s’enchante des bonds, des ruptures, des cascades que l’art lui prête. Des jardins ruisselants de La Clélie aux grottes de Richelieu et de Versailles, la poésie des fontaines y est partout présente, avec ses courbes et ses enroulements, ses reflets et ses jeux de miroir perpétuellement brisés, semblables à la respiration d’une écriture qui se défait sans cesse. Si l’art français n’accueille l’enivrement baroque que de manière partielle et fragmentaire, c’est dans les arts voués à l’éphémère qu’on le retrouve à l’état pur : dans l’ornementation d’un Bérain au théâtre ou à l’opéra, dans les architectures de quelques jours, théâtres de verdure, bosquets, salles de fêtes, jeux d’eau aux arcs-en-ciel fuyants. Tel est bien le premier critère de l’œuvre baroque : l’instabilité d’un équilibre qui se défait pour se refaire. Le deuxième est la mobilité : l’œuvre baroque est en mouvement, elle exige que le spectateur lui-même se mette en mouvement. Son élément est la métamorphose. Celle-ci installe une domination du décor, remplaçant la structure par un jeu d’illusions, instaurant la priorité du paraître sur l’être et ouvrant la voie à une morale de l’ostentation.

Ballet de tritons
Le chef-d’œuvre de Baldassare Belgiojoso, violoniste italien devenu maître de musique des fils de Catherine de Médicis, est le Balet comique de la Royne, représenté le 15 octobre 1581. L’apogée de ce spectacle de cinq heures de danse, de musique et de récitatifs consistait en quarante figures différentes exécutées par douze naïades. Sur le thème du mythe de Circé, la magicienne qui transformait aussi les humains en statues, le ballet tire ses personnages du monde marin - naïades, nymphes, satyres, dauphins, etc. - de la mythologie grecque.
Les gravures de Jacques Patin, qui illustrent les divers épisodes du ballet, évoquent ce monde, vu par un artiste du 16e siècle. Le musicien Arion, attaqué sur un navire par des esclaves et des matelots qui veulent le tuer et le détrousser, est sauvé par Apollon : Arion leur demande de le laisser chanter une dernière fois et, à sa voix, les dauphins, qui sont les favoris d’Apollon, accourent ; alors Arion saute dans la mer, un dauphin le recueille et le porte sur son dos jusqu’au cap Ténare.
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Étienne Picart, Les chevaux d'Apollon, 1675
La première sculpture importante commandée sous le règne de Louis XIV était destinée à Versailles et fut immortalisée dans une vingtaine de planches accompagnant la Description de la grotte de Versailles d'André Félibien, un texte publié à l'origine sous la forme d'un guide de poche, en 1672 et 1674. L'édition produite pour le Cabinet du Roi est I'une des premières publications illustrées consacrées à un projet spécifique du château de Versailles. Le texte et les images décrivent un lieu étonnant, richement décoré, dans lequel Apollon est entouré de nymphes, de ses chevaux et de tritons. L'idée en fut proposée en 1665, par Charles Perrault, qui sétait inspiré des Métamorphoses d'Ovide.
Exténué d'avoir illuminé la terre en traversant le ciel sur son quadrige. Apollon, le dieu du Soleil, se retire chaque soir dans le domaine marin de la déesse Téthys (confondue avec Thétis au 17e siècle). Le symbolisme était limpide : « Car de mesme que les poëtes ont feint que le Soleil [...], après avoir achevé sa course, va se reposer dans le palais de Thétis, et se délasser de ses travaux de la journée : on a pensé que cette fiction ingénieuse pouvait servir d'un agréable sujet à une grotte pour Versailles, où le Roy va de fois à autre prendre quelque relasche, et se délasser de ses grandes et illustres fatigues, sans que ce repos l'empesche de retourner aussi-tost au travail avec le mesme ardeur que le Soleil, qui recommence à éclairer le monde au sortir des eaux où il s'est reposé. » (Félibien 1676, p. 11).
François Girardon et Thomas Regnaudin exécutèrent le groupe central à partir des dessins fournis par Charles Le Brun vers 1666. Les deux paires de chevaux sont de la main de Gilles Guérin et des frères Marsy, Gaspard et Balthazard. La sculpture était achevée et mise en place en 1675, mais, malgré les louanges de visiteurs français et étrangers, la structure de la grotte fut démolie en 1684 pour permettre l'extension de l'aile nord du château, altérant à jamais l'effet de l'ensemble, qui se trouve désormais dans le pittoresque bosquet d'Hubert Robert, les Bains d'Apollon, créé à la fin du 18e siècle.
Les Bâtiments du roi chargèrent six graveurs de réaliser les planches entre 1672 et 1676. Au moins deux dessinateurs furent sollicités pour produire des dessins intermédiaires. Leurs noms, Pierre Monnier et Henri Watele, apparaissent sur trois des planches, mais l'ampleur de leur travail comme de celui d'autres contributeurs demeure inconnue. Parmi les graveurs, Jean Lepautre réalisa le plus grand nombre de planches, douze au total. Vu son habileté avec les pointes à eau-forte, et son expérience de l'architecture, des arts décoratifs et des ornements, on lui confia la reproduction de la scénographie de la grotte et de ses surfaces richement incrustées.
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Art classique, art baroque, art précieux
L’art classique recherche la vertu de simplicité qui exclut le trop, rejette la prolifération décorative, préfère la limpidité à l’obscurité. L’œuvre classique exclut la métamorphose et immobilise ses parties en fonction d’un centre fixe. Elle se tient dans ses limites et ne déborde pas. La tragédie classique s’appuie sur un passé accumulé, elle commence lorsqu’il menace d’éclater.
Art baroque et art précieux partagent un goût de l’artifice et du déguisement.

Louis XIV à la mandoline
La passion du jeune Louis XIV pour la danse entraine un renouvellement du genre, qui se transforme en un outil de propagande à la gloire du prince. À partir de 1651, la conception des ballets de cour se professionnalise et les sujets gagnent en unité : Isaac de Benserade, pensionné du roi, devient le principal poète des livrets au style précieux et galant, souvent comiques, jusqu’a la décadence du genre. Puis Jean-Baptiste Lully, le danseur-baladin, évince bientôt les musiciens qui composaient les airs et les danses. Enfin, c’est Beauchamps, Surintendant des Ballets du roi à partir de 1661, qui règle les chorégraphies et tient les rôles de soliste.
En 1657, le Ballet de l’Amour malade conçu par les deux artistes mêle entrées dansées, farce et comédie chantée à l’italienne et préfigure déjà l’esprit de la comédie-ballet moliéresque. Le musicien et le maitre de ballet forment le duo auquel Molière allait bientôt se joindre. Les ballets des années 1660 se situent donc aux confins de la comédie-ballet, qui leur emprunte ses caractères souvent pittoresques, associant aussi la danse, le chant et la parole, ainsi que les mêmes types de personnages, magiciens, Scaramouche et Trivelin, Espagnols et Égyptiens, bergers et bergères, paysans et médecins.
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Costume de démon
Alors que le ballet de cour s’impose dans la société curiale, la musique et dans une moindre mesure la danse, s’insinuent dans le théâtre baroque pendant la première moitié du 17e siècle, ce qui familiarise le public avec ce mélange des genres. La pastorale dramatique, très en vogue dans les années 1620-1640, comporte fréquemment des insertions musicales, chœurs, intermèdes, spécifiquement composés pour des circonstances particulières, et des chansons empruntant à des airs à la mode.
Le genre de la comédie-ballet inventé par Molière et Beauchamps en 1661 avec la création des Fâcheux est donc né d’une grande familiarité du public, en particulier du public de cour, avec la présence de musique et de danse dans une pièce dramatique, que ce soient le ballet de cour, les tragédies à machines, l’opéra italien avec entrées de ballets. Les pièces purement parlées étaient aussi fréquemment entrecoupées de musique jouée pendant les entractes, sans lien avec l’intrigue et réutilisée selon les besoins.
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Mais le décor naturel de la préciosité est le salon, alors que l’art baroque a besoin de larges espaces et de plein air. « La préciosité est la pointe mondaine du baroque » (Jean Rousset). Le baroque joue gravement là où le précieux ne joue qu’un jeu de société. Il imagine et invente là où le précieux développe l’ingéniosité du bel esprit. Il emprunte au monde végétal et animal d’inépuisables métaphores de mouvements, alors que le précieux pétrifie l’univers. « Le précieux est une des tentations du baroque » (Jean Rousset).
Provenance
Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition Molière en musiques, présentée à la bibliothèque-musée de l’Opéra du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023.
Lien permanent
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