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L'architecture funéraire d'Étienne-Louis Boullée

Tombeau d’Hercule et autre tombeau qui fait pendant au précédent
Tombeau d’Hercule et autre tombeau qui fait pendant au précédent

Bibliothèque nationale de France

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Inspiré par l'Égypte, Étienne-Louis Boullée propose de nombreux modèles de monuments funéraires, souvent destinés à exalter les grands hommes. Pyramides, temples à l'antiques ou globes géants sont autant de formes architecturales simples et marquantes qu'il emploie au sevice de la mémoire.

L’architecture funéraire de Boullée illustre le changement des rapports que les hommes entretiennent avec la mort, et tout particulièrement avec le culte des Grand Hommes. En 1785, Louis XVI décide d’éloigner les cimetières des villes pour des raisons d’hygiène publique ce qui conduit à un renouvellement de la typologie de l’architecture funéraire. L’engouement pour une archéologie antique, en partie mythique, et la vulgarisation des sciences, en particulier de l’astronomie, conduit Boullée à privilégier en architecture des formes géométriques primaires telles que sphères ou pyramides. Inspiré par les monuments égyptiens, Boullée imagine une série de cénotaphes, monuments funéraires dans lesquels ne reposent aucun corps, et de tombeaux, fondés sur des jeux oppressants de formes et de proportions capables de « braver le ravage des temps ». Il élabore ici l’une des notions clef de sa poésie de l’architecture, l’« architecture ensevelie », et figure en divers tableaux une véritable cité des morts.

Cénotaphe dont la pyramide est ronde
Cénotaphe dont la pyramide est ronde |

Bibliothèque nationale de France

L’architecture de Boullée s’appuie sur la théorie sensualiste, doctrine formulée par Lock et Condillac d’après laquelle toutes nos connaissances proviennent des sensations. Il fait appel à un registre de formes simples et lisses, aux proportions « basses et affaissées », qui placent le spectateur face à une nature omnipotente. Les tableaux suivent un schéma à peu près identique. Les ensembles funéraires sont mis en scène dans de vastes espaces vides sous un ciel bas et pesant avec de forts effets de clair-obscur.

Entrée d’un cimetière
Entrée d’un cimetière |

Bibliothèque nationale de France

Les cénotaphes sont disposés au cœur d’une enceinte carrée ou circulaire, ponctuée d’ « arc[s] de triomphe[s] funéraire[s] » et de charniers pyramidaux qui abritent des chapelles destinées à l’office des morts . Le cénotaphe marque le centre de la composition dans un décaissement qui crée une sorte d’arène immense. La masse des édifices est représentée par des volumes géométriques simples, tronconiques, pyramidaux ou sphériques, qui s’imposent dans des proportions monumentales aux hommes assemblés à leur pied. Les références à l’Égypte sont récurrentes et les compositions, placées dans des paysages désertiques, sont ponctuées d’obélisques et de sphinx. Les représentations de cultes ancestraux figurent des cérémonials anciens, baignés dans une harmonie d’ombre et de lumière parcourue de la fumée des encens.

Cénotaphe
Cénotaphe |

Bibliothèque nationale de France

Cénotaphe
Cénotaphe |

Bibliothèque nationale de France

Le cénotaphe de Turenne, décrit par Boullée dans son Essai, représente l’archétype du dispositif funéraire. En 1782 l’Académie d’architecture est consultée pour l’érection d’un monument à la mémoire du maréchal de Turenne, mort à Sasbach en 1675. Boullée projette une pyramide tronquée, cernée de palmiers et de cyprès qui forment une couronne naturelle pour honorer la gloire du héros mort pour la Nation. La construction, de gros appareillage de maçonnerie, est dépourvue de décoration bien que parcourue par les lignes diagonales des escaliers. L’entrée est ménagée dans un vaste cul-de-four flanqué de deux bas-reliefs sculptés dans la masse du mur. Des petits groupes sont réunis devant la façade et sous de lourds obélisques pour une célébration commémorative lors d’un jour d’orage.

Cénotaphe
Cénotaphe |

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Cénotaphe dont la pyramide est ronde
Cénotaphe dont la pyramide est ronde |

Bibliothèque nationale de France

Le cénotaphe abrite un autel placé au centre d’un amphithéâtre couvert d’une voûte lisse, surmontée du volume évidé de la pyramide qui forme une immense chambre acoustique. Le pourtour est ponctué de culs-de-four qui abritent des chapelles fermées par des portiques de colonnes doriques sans base. Chaque élément architectural est dépourvu de piédroit afin d'accentuer un effet d’affaissement et de demi-ensevelissement, particulièrement approprié, selon Boullée, à une architecture funéraire.  

Les tombeaux

Boullée développe une série de projets de tombeaux sur les mêmes principes que ceux qui régissent les cénotaphes tout en épurant la mise en scène. La disparition des sépultures au sein des églises revitalise pour les architectes de la fin de l’Ancien Régime un terrain d’expérimentation oublié depuis l’Antiquité. Le tombeaux, lieu de métamorphose du corps en esprit, est élevé au rang de monument et de symbole. Dans les trois projets de tombeaux, Boullée s’affranchit d’un dispositif complexe d’enceintes et de portes pour proposer des édifices isolés dans des lieux stériles et qui apparaissent comme un seuil entre le monde des vivants et celui des morts. Par ses vues rapprochées, l’architecte inspire aux spectateurs  la gravité et la puissance des morts : « Temples de la mort, votre aspect doit glacer nos cœurs ! ».

Tombeau d’Hercule et autre tombeau qui fait pendant au précédent
Tombeau d’Hercule et autre tombeau qui fait pendant au précédent |

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Tombeau des Spartiates
Tombeau des Spartiates |

Bibliothèque nationale de France

Le tombeaux des Spartiates doit son titre à la remarque qu’un visiteur fit à Boullée. Sépulture collective de soldats, sa forme reprend celle d’un sarcophage monumental dont la pierre tombale est portée par des soldats antiques alignés en frise. Dénuée de toutes autres décorations hormis une série d’amphores, la masse de l’édifice s’apparente autant à une place forte gardée par des morts qu’à un sanctuaire de vie autour duquel on célèbre la résurrection (ou la libération) de l’esprit. Une procession parcourue de fumées d’encens s’achemine vers le cœur du monument par une porte sombre qui se découpe nettement sur la face éclairée de l’entrée.

Deux autres dessins de tombeaux à portiques prolongent ce projet. Le tombeau d’Hercule met en scène le mythe du héros grec qui ne fut vaincu que par la magie et dont le corps fut transporté au ciel par des flammes. Une vaste pyramide tronquée de laquelle des fumées s’échappent en panaches, symbolise le bûcher sur lequel le héros se donna la mort. L’ensemble est enserré par un portique d’ordre dorique sans base surmonté d’une large frise dédiée vraisemblablement à ses exploits. L’isolement de l’édifice est accentué par la surface lisse de l’immense socle qui porte le tombeau et qui est simplement percé de deux petites entrées. Le deuxième dessin, similaire et intitulé tombeau périptère, fait disparaître la proéminence du socle et remplace la pyramide par une masse orthogonale dont l’attique s’élève au-dessus du portique. L’intérieur de l’édifice est rendu moins oppressant et sa perception plus directe au travers des colonnes.

Tombeau d’Hercule et autre tombeau qui fait pendant au précédent
Tombeau d’Hercule et autre tombeau qui fait pendant au précédent |

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« L’architecture des ombres »

Frappé par « la masses des objets se détachant en noir sur une lumière d’une pâleur extrême », Boullée conçoit un monument « caractérisant le genre d’une architecture des ombres ». Il lui donne forme par l’élévation lugubre d’un temple à portique d’ordre primitif, parcouru de « la lueur pâle et mourante des lampes sépulcrales ! »
Le tympan ouvert du fronton, crée un appel sinistre vers l’antre du bâtiment plongé dans un noir intense. Partant de cette image, il détermine un « procédé », caractérisant son monument : « une surface plane, nue et dépouillée, d’une matière absorbant la lumière, absolument dénuée de détails et dont la décoration est formée par un tableau d'ombres dessiné par des ombres encore plus sombres ».

Monument funéraire caractérisant le genre de l’architecture des ombres
Monument funéraire caractérisant le genre de l’architecture des ombres |

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