Humanisme et peinture

© Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
La Vierge du chancelier Rolin
Provenance : Collégiale Notre-Dame d'Autun
© Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
L’émergence du réel
Jusqu’au 13e siècle, la peinture occidentale est régie par des codes byzantins, c’est un art au service du symbole. L’icône constitue le modèle de toute image, le peintre s’y efface au profit de la restitution standardisée d’un prototype. Son but est de proposer un accès à l’Invisible et non de donner l’illusion du Visible. Le fond or, l’idéalisation des visages, la gravité figée des attitudes, le hiératisme des personnages, l’absence de perspective tendent à une dématérialisation du contenu de l’icône, offerte à la prière et à la contemplation du spectateur.

La Vierge et l’Enfant entourés d’anges
Fouquet a ici représenté la Vierge sous les traits d’Agnès Sorel. La Vierge d’Anvers, à la carnation d’une extrême pâleur, entourée d’anges rouges et bleus (des chérubins et des séraphins), se détache de façon frontale d’un fond bleu abstrait.
Les diverses composantes du tableau sont visiblement régies par un canevas géométrique précis, dont les lignes de force sont apparentes dans la forme triangulaire du groupe central, bien soulignée à gauche par la ligne oblique du manteau. La frontalité de la composition est soulignée par l’écran rigoureusement parallèle au plan de l’image que constitue le trône, mais aussi par la disposition de trois des chérubins, l’un d’eux, au-dessus de l’Enfant, regardant droit vers le spectateur, tandis qu’un autre, au premier plan à gauche, est représenté strictement de profil. Seule dans cette composition, qui pourrait se suffire à elle-même, l’attitude de l’Enfant, imperceptiblement tourné vers la gauche et l’index de la main gauche pointé dans la même direction, suggère l’existence d’un pendant. Le puissant contrepoint rouge et bleu des anges, luisant comme des statues de bois peint, fait ressortir la blancheur du groupe central tout en contribuant au caractère visionnaire de la représentation.
On a souligné maintes fois l’espèce d’érotisme glacé dégagé par le volet droit de cet étrange tableau. Le fait que le peintre ait représenté la Vierge sous les traits d’une maîtresse royale a pu choquer. Les mobiles qui ont conduit à ce choix nous échappent encore aujourd’hui. Il fallait qu’ils fussent bien puissants et qu’ils aient eu l’approbation du roi, pour qu’un homme avisé et prudent comme l’était le trésorier de France ait osé braver l’opinion dans un lieu sacré et public en se faisant représenter en prière devant l’effigie de la belle Agnès transformée en Vierge Marie. Car c’est bien Agnès Sorel qu’il faut reconnaître, à n’en pas douter, dans le tableau d’Anvers, cette Agnès dont bien des témoignages du temps ont célébré la beauté et, mieux que la beauté, le charme et l’influence bénéfique qu’elle exerça sur Charles VII. Son grand front dégagé, son nez droit et pointu, sa bouche petite, sa fossette au menton, se retrouvent identiques dans son tombeau de Loches et plus encore dans les portraits dessinés de la « dame de Beauté » qui circulèrent à partir du règne de François Ier.
Le type de la Vierge du diptyque de Melun dut être très tôt célèbre. Le plus souvent, les dérivations suscitées par le panneau d’Anvers ont dû être élaborées à partir de carnets de dessins et peut-être de variantes créées par Fouquet lui-même ou dans son atelier.
© IRPA-KIK, Bruxelles
© IRPA-KIK, Bruxelles
Naissance de la perspective
Le tableau devient une fenêtre à travers laquelle la perspective permet de creuser l’espace. La perspective (du latin perspicere, « voir clairement » ) est un système de figuration géométrique de l’espace qui a pour but de produire l’illusion de la troisième dimension en restituant de manière vraisemblable la diminution progressive des objets en fonction de leur éloignement dans l’espace. L’inventeur en est un architecte sculpteur florentin, Filippo Brunelleschi (1377-1446), le premier théoricien en est Leon Battista Alberti, architecte lettré, également florentin, avec son célèbre traité, le De Pictura (1435). Le premier peintre à l’avoir appliquée est Masaccio dont la fresque de la sainte Trinité à l’église Santa Maria Novella de Florence est construite sur un somptueux trompe-l’œil (1425-1428). Les artistes depuis l’Antiquité ignoraient les lois de la perspective, ils dessinaient simplement en plus grand les objets proches ou importants, et en plus petit, les objets plus éloignés. La loi de la diminution progressive à mesure que grandit la distance leur était inconnue. Brunelleschi élabore un système qui correspond à la perception de l’œil humain : la perspective centrale, projection établie à partir d’un point fixe qui représente l’œil du spectateur. Dans ce système, deux droites parallèles entre elles et orthogonales au plan du tableau dans la réalité, finissent par converger sur la toile en un point de fuite. Ces droites convergentes sont appelées lignes de fuite, elles orientent le regard du spectateur et servent ainsi à structurer le tableau.
La peinture devient spectacle

Les Époux Arnolfini
Lorsque le miroir reflète quelque chose qui ne se trouve pas immédiatement devant lui et qui n’entre dans la représentation picturale que par le champ de la réflexion, le miroir tient lieu d’une réalité absente. L’histoire de cet artifice commence avec Van Eyck. Dans ce portrait des époux Arnolfini, le miroir du fond donne l’image miniaturisée de deux personnages censés se tenir là où se trouve le spectateur. Le plus souvent, la critique y a vu le peintre et un compagnon. Mais le peintre ne figure pas ici comme peintre, plutôt comme témoin du mariage des époux. Le jeu de la représentation avec une seconde scène dans le miroir connaîtra son apogée au XIIe siècle.
© National Gallery, Londres
© National Gallery, Londres
Provenance
Cet article provient du site de l'exposition Fouquet (2003).
Lien permanent
ark:/12148/mmj83kxr1sqj2