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Extrait

Coin de misère

Émile Zola, Paris, 1898.
L'abbé Pierre Froment se trouve vers huit heures à la Basilique du Sacré-Cœur, afin de dire une messe. Ensuite, il quitte Montmartre et ses petites ruelles.

Mais, à mesure qu'il dévalait, par les raidillons, par les étages d'escaliers interminables, des coins de misère entrevus le reprenaient, une infinie pitié lui serrait le cœur. Il y avait à tout un quartier neuf en construction, le long des larges voies ouvertes, depuis les grands travaux du Sacré-Cœur. De hautes et bourgeoises maisons se dressaient déjà, au milieu des jardins éventrés, parmi des terrains vagues, entourés encore de palissades. Et, avec leurs façades cossues, d'une blancheur neuve, elles ne faisaient que rendre plus sombres, plus lépreuses, les vieilles bâtisses branlantes restées debout, des guinguettes louches aux murs sang-de-bœuf, des cités de souffrance aux bâtiments noirs et souillés, où du bétail humain s'entassait. Ce jour-là, sous le ciel bas, la boue noyait le pavé défoncé par les charrois, le dégel trempait les murs d'une humidité glaciale, tandis qu'une tristesse atroce montait de tant de saleté et de souffrance.

Émile Zola, Les trois villes. Paris : Paris, Bibliothèque Charpentier, Fasquelle, 1898.