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Extrait

L'Île de la cité

Émile Zola, L'Œuvre, 1886
Claude Lantier est hanté, obsédé par sa vision de l'Île de la cité car la Seine lui apporte tous les mystères de la nature et de la vie.

Il était venu, appelé par elle, et il ne la voyait pas, au fond des ténèbres. Il ne distinguait que les ponts, des carcasses fines de charpentes se détachant en noir sur l'eau braisillante. Puis, au-delà, tout se noyait, l'île tombait au néant, il n'en aurait pas même retrouvé la place, si des fiacres attardés n'avaient promené, par moments, le long du Pont-Neuf, ces étincelles filantes qui courent encore dans les charbons éteints. Une lanterne rouge, au ras du barrage de la Monnaie, jetait dans l'eau un filet de sang. Quelque chose d'énorme et de lugubre, un corps à la dérive, une péniche détachée sans dote, descendait avec lenteur au milieu des reflets, parfois entrevue, et reprise aussitôt par l'ombre. Où avait donc sombré l'île triomphale ? Etait-ce au fond de ces flots incendiés ? Il regardait toujours, envahi peu à peu par le grand ruissellement de la rivière dans la nuit. Il se penchait sur ce fossé si large, d'une fraîcheur d'abîme, où dansait le mystère de ces flammes. Et le gros bruit triste du courant l'attirait, il en écoutait l'appel, désespéré jusqu'à la mort.

Émile Zola, L'Œuvre,  :Paris, Charpentier, 1886.
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