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Extrait

Un grand rêve noir

Émile Zola, La Débâcle, 1892
Ce chapitre évoque le songe apocalyptique d'un communard à la veille de la victoire des Versaillais.

Le sombre besoin de destruction montait en lui, à mesure que la fin de son rêve approchait. Si l'idée justicière et vengeresse devait être écrasée dans le sang, que s'entrouvrît donc la terre, transformée au milieu d'un de ces bouleversements cosmiques, qui ont renouvelé la vie ! Que Paris s'effondrât, qu'il brûlât comme un immense bûcher d'holocauste, plutôt que d'être rendu à ses vices et ses misères, à cette vieille société gâtée d'abominable injustice ! Et il faisait un grand rêve noir, la ville géante en cendre, plus rien que des tisons fumants sur les deux rives, la plaie guérie par le feu, une catastrophe sans nom, sans exemple, d'où sortirait un peuple nouveau. Aussi s'enfiévrait-il davantage aux récits qui couraient : les quartiers minés, les catacombes bourrées de poudre, tous les monuments prêt à sauter, des fils électriques réunissant les fourneaux pour qu'un seule étincelle les allumât tous d'un coup, des provisions considérables de matières inflammables, surtout du pétrole, de quoi changer les rues et les places en torrents, en mers de flammes. La Commune l'avait juré, si les Versaillais entraient, pas un n'irait au-delà des barricades qui fermaient les carrefours, les pavés s'ouvriraient, les édifices crouleraient, Paris flamberait et engloutirait tout un monde.

Émile Zola, Œuvres complètes illustrées, La Débâcle : Bibliothèque Charpentier, Fasquelle, 1906.
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