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Extrait

Supplice de Robespierre

Louis-Sébastien Mercier, Le Nouveau Paris, livre 6, chapitre 243,1797
Les deux cent soixante et onze chapitres du Nouveau Paris, répartis en six volumes, décrivent les grandes journées révolutionnaires tout en refusant le récit chronologique. Louis-Sébastien Mercier décrit ici l'allégresse générale de la foule lors de l'exécution publique de Robespierre, décrété hors la loi et mis à mort sans procès le 10 thermidor (28 juillet 1794). Président du club des Jacobins, député de la Convention, membre du Comité de Salut Public, Robespierre est en effet l'homme le plus controversé de la Révolution en raison de la dictature qu'il exerça et de sa responsabilité dans l'instauration d'un régime de Terreur à partir de 1793.

Où prendrai-je des couleurs pour peindre le cri général de l'allégresse publique au milieu du spectacle le plus épouvantable, l'explosion de la joie bruyante qui se propage et qui retentit jusqu'au pied d'un échafaud ? Son nom chargé d'imprécations est dans toutes les bouches : ce n'est plus l'incorruptible, le vertueux Robespierre ; le masque est tombé ; on l'exècre ; on le rend responsable de tous les crimes des deux comités. On se presse sur les échoppes, dans les boutiques, aux fenêtres ; les toits sont couverts de peuple et chargés d'une foule variée de spectateurs de toutes classes qui n'ont qu'un objet, voir Robespierre conduit à la mort.

Au lieu d'un trône de dictateur, il est à demi couché sur une charrette qui porte ses complices, Couthon et Henriot. C'est un bruit, un tumulte autour de lui, qui n'est formé que de mille cris de joie confus et de félicitations mutuelles. Sa tête est enveloppée d'un linge sale et sanglant ; on ne voit qu'à demi son visage pâle et féroce. Ses compagnons mutilés, défigurés, ressemblaient moins à des criminels qu'à des bêtes féroces surprises dans un traquenard, et dont on n'a pu se saisir qu'en écrasant une partie des membres. Un soleil brûlant n'empêche point les femmes d'exposer les lis et les roses de leurs joues délicates à ses rayons ; elles veulent voir le bourreau de ses concitoyens. Les cavaliers qui escortent la charrette brandissent leurs sabres, et le montrent de la pointe nue. Ce pontife-roi ne traîne plus la Convention à dix pas de distance de sa personne ; il ne semble conserver la vie que pour attester la justice divine et ses terribles vengeances sur les hommes hypocrites et sanguinaires.

Arrivé près du lieu du supplice, devant la maison où il logeait, le peuple fit arrêter, et un groupe de femmes exécuta alors une danse, aux battements de mains de la multitude. Une d'elles saisit ce moment pour l'apostropher du geste et de la voix, en lui criant : « Ton supplice m'enivre de joie, descends aux enfers avec les malédictions de toutes les épouses, de toutes les mères de famille. » Il resta muet.

Monté sur l'échafaud, le bourreau, comme animé de la haine publique, lui arracha brusquement l'appareil mis sur ses blessures ; il jeta le cri d'un tigre : la mâchoire inférieure se détacha alors de la supérieure, et laissant jaillir des flots de sang, fit de cette tête humaine une tête monstrueuse, et la plus horrible que l'on puisse se peindre. Ses deux compagnons, non moins hideux dans leurs vêtements déchirés et sanglants, étaient les acolytes de ce grand criminel dont les souffrances n'inspirèrent à personne la plus légère pitié. Blessé à mort, la vindicte publique appelait encore pour lui un second trépas et l'on courait en foule pour ne pas perdre l'instant où cette tête allait s'incliner sous la hache où il en avait précipité tant d'autres : on applaudit pendant plus de quinze minutes.

Louis-Sébastien Mercier, Le Nouveau Paris  : Paris, Fuchs, Pougens et Cramer, 1797.
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