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Extrait

Les mots ignobles continuaient

Émile Zola,Pot-bouille, 1882.
Berthe et Octave sont amants. Ils se voient en cachette. Ils surprennent les domestiques en pleine conversation...

Les mots ignobles continuaient, des mots que la jeune femme n'avait jamais entendus, toute une débâcle d'égout, qui, chaque matin, se déversait là, près d'elle, et qu'elle ne soupçonnait même pas. Maintenant, leurs amours, si soigneusement cachées, traînaient au milieu des épluchures et des eaux grasses. Ces filles savaient tout, sans que personne eût parlé. Lisa racontait comment Saturnin tenait la chandelle ; Victoire rigolait des maux de tête du mari, qui aurait dû se faire poser un autre œil quelque part ; Adèle elle-même tapait sur l'ancienne demoiselle de sa dame, dont elle étalait les indispositions, les dessous douteux, les secrets de toilette. Et une blague ordurière salissait leurs baisers, leurs rendez-vous, tout ce qu'il y avait encore de bon et de délicat dans leurs tendresses. (...) 
Tous les fonds de casserole, toutes les vidures de terrine y passèrent, pendant que Lisa s'acharnait sur Berthe et sur Octave, arrachant des mensonges dont ils couvraient le nudité malpropre de l'adultère. Ils restaient, la main dans la main, face à face, sans pouvoir détourner les yeux ; et leurs mains se glaçaient, et leurs yeux s'avouaient l'ordure de leur liaison, l'infirmité des maîtres étalée dans la haine de la domesticité. C'était ça leurs amours, cette fornication sous une pluie battante de viande gâtée et de légumes aigres.

Émile Zola,Pot-bouille : Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1883.
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