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Extrait

Loin de la foule

Émile Zola, La Bête humaine, 1890
Séverine et Jacques se promènent au square des Batignolles.

Quelques minutes, ils marchèrent sans parler, dans le continuel flot de passants qui encombre ce quartier populeux. Parfois, ils étaient forcés de descendre du trottoir ; et ils traversaient la chaussée, au milieu des voitures. Puis ils se trouvèrent devant le square des Batignolles, presque désert à cette époque de l'année. Le ciel pourtant, lavé par le déluge du matin, était d'un bleu très doux ; et, sous le tiède soleil de mars, les lilas bourgeonnaient.
 Entrons-nous ? demanda Séverine. Tous ce monde m'étourdit.
De lui-même, Jacques allait entrer, inconscient du besoin de l'avoir plus à lui, loin de la foule.
 Là ou ailleurs, dit-il. Entrons.
Lentement, ils continuèrent de marcher le long des pelouses, entre les arbres sans feuilles. Quelques femmes promenaient des enfants au maillot, et il y avait des passants qui traversaient le jardin pour couper au plus court, hâtant le pas. Ils enjambèrent la rivière, montèrent parmi les rochers ; puis, ils revenaient, désoeuvrés, lorsqu'ils passèrent parmi des touffes de sapins, dont les feuillages persistants luisaient au soleil, d'un vert sombre. Et, un banc se trouvant là, dans ce coin solitaire, caché aux regards, ils s'assirent, sans même se consulter cette fois, comme amenés à cette place par une entente. (…)
Les touffes d'arbres verts les cachaient aux passants des rues voisines ; ils n'entendaient qu'un lointain roulement de voitures, assourdi dans cette solitude ensoleillée du square ; tandis que, seul au détour de l'allée, un enfant était là, jouant en silence à emplir de sable un petit seau, avec une pelle.

Émile Zola, Œuvres complètes illustrées, La Bête humaine : Bibliothèque Charpentier, Fasquelle, 1906
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