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Extrait

La nature, « poëme » divin
Livre V, III, iv

Victor Hugo, Les Contemplations, 1856
Texte intégral : Paris, Ed. Michel Levy, 1856
Attaqué par une ancienne fréquentation qui lui reproche son évolution, Hugo lui répond dans un poème qui retrace cette dernière et constitue ainsi une mise en abyme du recueil. Le Je s’attarde notamment sur les multiples leçons qu’il a tirées de la nature, « poëme » de Dieu, et s’offrant par là de manière privilégié au déchiffrement du poëte à venir.

ÉCRIT EN 1846

[…] Dieu prend par la main l’homme enfant, et le convie
À la classe qu’au fond des champs, au sein des bois,
Il fait dans l’ombre à tous les êtres à la fois.
J’ai pensé. J’ai rêvé près des flots, dans les herbes,
Et les premiers courroux de mes odes imberbes
Sont d’eux-mêmes en marchant tombés derrière moi.
La nature devint ma joie et mon effro ;
Oui, dans le même temps où vous faussiez ma lyre,
Marquis, je m’échappais et j’apprenais à lire
Dans cet hiéroglyphe énorme : l’univers.
Oui, j’allais feuilleter les champs tout grands ouverts ;
Tout enfant, j’essayais d’épeler cette bible
Où se mêle, éperdu, le charmant au terrible ;
Livre écrit dans l’azur, sur l’onde et le chemin,
Avec la fleur, le vent, l’étoile ; et qu’en sa main
Tient la création au regard de statue ;
Prodigieux poëme où la foudre accentue
La nuit, où l’océan souligne l’infini.
Aux champs, entre les bras du grand chêne béni,
J’étais plus fort, j’étais plus doux, j’étais plus libre ;
Je me mettais avec le monde en équilibre ;
Je tâchais de savoir, tremblant, pâle, ébloui,
Si c’est Non que dit l’ombre à l’astre qui dit Oui ;
Je cherchais à saisir le sens des phrases sombres
Qu’écrivaient sous mes yeux les formes et les nombres ;
J’ai vu partout grandeur, vie, amour, liberté ;
Et j’ai dit : – Texte : Dieu ; contresens : royauté.  […]
 
Paris, juin 1846.

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