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Extrait

Au milieu du danger

Émile Zola, La Bête humaine, 1890
Dans ce chapitre de La Bête humaine, Séverine est assaillie par l'angoisse en observant la gare et ses mouvements continuels.

Elle s'en retourna, enfila la rue d'Edimbourg, descendit jusqu'au pont de l'Europe. Là seulement, elle se crut à l'abri. Et, ne sachant plus ou aller ni que faire, éperdue, elle se tint immobile contre une des balustrades, regardant au-dessous d'elle, à travers les charpentes métalliques, le vaste champ de la gare, où des trains évoluaient continuellement. (…) 
Il en sortait justement un de la marquise des grandes lignes, qu'elle regardait venir, et qui passa sous elle, en soufflant jusqu'à sa face un tiède tourbillon de vapeur blanche. (…) 
Des machines sifflaient, elle en suivait une, petite, débranchant un train de banlieue ; et, ses regards s'étant levés vers la gauche, elle reconnut, au-dessus de la cour des messageries, tout en haut de la maison de l'impasse d'Amsterdam, la fenêtre de la mère Victoire, cette fenêtre où elle se revoyait accoudée avec son mari, avant l'abominable scène qui avait causé leur malheur. Cela évoqua le danger de sa situation, dans un élancement de souffrance si aigu, qu'elle se sentit prête soudain à tout affronter, pour en finir. Des sons de trompe, des grondements prolongés l'assourdissaient, tandis que d'épaisses fumées barraient l'horizon, envolées sur le grand ciel clair de Paris. Et elle reprit le chemin de la rue du Rocher, allant là comme on se suicide, précipitant sa marche, dans la crainte brusque de n'y trouver personne.

Émile Zola, Œuvres complètes illustrées, La Bête humaine : Bibliothèque Charpentier, Fasquelle, 1906.
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