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Extrait

Luxe de Paris et misère du faubourg

Émile Zola, L'Assommoir, 1877
Gervaise se retrouve face aux grands changements du quartier. Elle est seule et elle a faim... elle cherche quelqu'un qui pourrait  l'aider.

Ce quartier, où elle éprouvait une honte, tant il embellissait, s'ouvrait maintenant de toutes parts au grand air. Le boulevard Magenta, montant de cœur de Paris, et le boulevard Ornano, s'en allant dans la campagne, l'avaient troué à l'ancienne barrière, un fier abattis de maisons, deux vastes avenues encore blanches de plâtre, qui gardaient à leurs flancs les rues du Faubourg-Poissonnières et des Poissonniers, dont les bouts s'enfonçaient, écornés, mutilés, tordus comme des boyaux sombres. Depuis longtemps le démolition des murs de l'octroi avait déjà élargi les boulevards extérieurs, avec les chaussées latérales et le terre-plein au milieu pour les piétons, planté de quatre rangées de petits platanes.... Sous le luxe montant de Paris, la misère du faubourg crevait et salissait ce chantier d'une ville nouvelle si hâtivement bâtie.
Perdue dans la cohue du large trottoir, le long des petits platanes, Gervaise se sentait seule et abandonnée. Ces échappées d'avenues, tout là-bas, lui vidaient l'estomac davantage... Oui, c'était trop grand, c'était trop beau, sa tête tournait et ses jambes s'en allaient, sous ce pan démesuré de ciel gris, tendu au-dessus d'un si vaste espace.

Émile Zola, L'Assommoir : Paris, Charpentier, 1877.