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L'écriture arabe et le sacré

Feuillet d’un coran en écriture coufique
Feuillet d’un coran en écriture coufique

© Bibliothèque nationale de France

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Symbole visuel de l'islam, véhicule du message divin, reflet du monde de l'au-delà, insigne du pouvoir, écrin enfermant des mystères déchiffrables par les mystiques et les poètes, outil de la connaissance, l'écriture arabe est, dans le monde de l'islam, omniprésente et sacrée.

L'islam, dernière-née des trois religions monothéistes, est apparu en Arabie au début du 7e siècle. Le message divin a été révélé en arabe au prophète Muhammad par l'archange Gabriel. Cette langue sémitique s'est développée dans le royaume arabe préislamique des Lakhmides, situé au sud et à l'ouest de l'Euphrate.

Arabie au début du 7e siècle
Arabie au début du 7e siècle

Véhicule de la Révélation, l'arabe, dont l'alphabet a ensuite été adopté pour transcrire le persan et le turc, a un caractère sacré. Selon la tradition, l'écriture aurait été enseignée à Adam par Dieu ; elle est donc la parole divine rendue visible et se trouve au cœur même de la civilisation islamique. Le Coran, codifié sous le règne du calife 'Uthman (644-656), est la forme terrestre du Coran éternel et incréé, transcrit au ciel "par le Qalam suprême sur la table gardée" (Cor. LXXXV, 22) que seuls peuvent approcher les anges. Par opposition à la plupart des autres religions, ce n'est pas l'icône mais l'écrit qui est le symbole de l'islam.

La calligraphie et le sacré

L'écriture, et en particulier la calligraphie - la « belle écriture » - est devenue très tôt l'art par excellence. Écrire le Coran, mais aussi les quatre-vingt-dix-neuf noms divins, celui de Muhammad et de ses successeurs, est un acte pieux avant lequel il faut se purifier. Bien des souverains s'y sont appliqués.
Au 15e siècle, Ibrahîm Sultân, prince timuride de Chiraz, a copié un gigantesque coran. Son frère Baysunghur a composé pour la superbe mosquée édifiée à Mashhad par sa mère Gawhar Shad les grandes calligraphies qui la parent, peintes sur céramique. L'empereur moghol Awrangzeb, que sa grande piété poussa à dissoudre le merveilleux atelier de miniaturistes de ses prédécesseurs, s'est consacré à l'édification de mosquées, mais aussi à la réalisation de plusieurs corans.

Écrire les paroles de Dieu, dont les principaux attributs sont la majesté et la beauté, est un art d'harmonie, régi par des données mathématiques strictes. La trace carrée de la pointe du calame, roseau choisi et taillé en fonction du ductus souhaité, sert de module de base et permet de mesurer l'alif, la lettre étalon, qui devient le diamètre d'un cercle à l'intérieur duquel doivent s'inscrire toutes les autres lettres. Selon les régions et les époques, les graphies ont varié à l'infini. Au rythme et au dynamisme de l'écriture se sont ajoutés les ornements divers.

Neuvième fascicule d’un coran
Neuvième fascicule d’un coran |

© Bibliothèque nationale de France

Coran
Coran |

© Bibliothèque nationale de France

Le coufique, graphie angulaire, s'est orné de nœuds, de tresses, de fleurons, de têtes d'animaux ou parfois de personnages. Même si très tôt il a été concurrencé par l'écriture cursive, il est resté longtemps en faveur pour le message coranique, tant sur les manuscrits que sur les inscriptions monumentales ou les objets.

Dans l'écriture arabe, seules sont tracées les consonnes et les trois voyelles longues. Très vite, afin de ne pas mal interpréter le message coranique, les scribes ont marqué des points diacritiques et les voyelles brèves.

Sur des pages de parchemin, plus tard de papier blanc ou crème, mais aussi parfois bleu, le calligraphe dépose la parole de Dieu avec des encres noires, bleues, rouges, vertes et dorées dont il conserve jalousement le secret de fabrication ; il ponctue de rosettes enluminées chaque fin de verset, et, tous les cinq versets, d'un ornement plus important. Le début des sourates, particulièrement enjolivé, prend naissance dans un motif folié largement éclairé d'or, allusion possible à l'image coranique de la parole excellente semblable à un arbre excellent aux racines solidement ancrées (Cor. XIV, 24-26). Le symbolisme de l'arbre sacré (Cor. XXIII, 20) et celui de la lumière comparée à un flambeau qui s'allume à cet arbre béni (Cor. XXIV, 35) ont inspiré de grands ouvrages mystiques, tels Le Tabernacle des Lumières d'al-Ghazalî (1058-1111) et L'Arbre du monde d'Ibn 'Arabî (1155-1240).

Le message coranique dans l'architecture religieuse arabe

Mihrâb portatif
Mihrâb portatif |

Photo (C) Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Hughes Dubois

Le message coranique, signe de la majesté et de la puissance divines, est omniprésent dans l'architecture religieuse. À l'intérieur de la plupart des mosquées et des mausolées, il se déroule en longues frises au sommet des murs et ceinture la coupole, elle-même image de la voûte céleste d'où ce message semble descendre sur la tête des fidèles. Dans certains cas, comme à la mosquée d'Ibn Tûlûn au Caire (979), le texte sculpté dans le bois figurerait dans sa totalité. Le plus souvent, les passages coraniques choisis révèlent les intentions politiques des souverains commanditaires du monument. À la coupole du Rocher à Jérusalem (691), l'inscription - la première inscription monumentale du monde islamique -, traitée en mosaïques de verre sur fond d'or, mentionne la reconnaissance par l'islam de Jésus, de Marie, des « Gens du Livre », c'est-à-dire les juifs et les chrétiens, mais affirme aussi la suprématie de la nouvelle religion ; dans cette ville symbole des trois religions monothéistes et encore majoritairement peuplée alors de non-musulmans, le choix des textes est délibéré.

Très souvent, placés en un lieu symbolique et traités selon des graphies particulières et sur des supports divers, ce sont de simples noms qui sont inscrits : ceux de Dieu, de Muhammad, des quatre premiers califes et, dans les milieux chiites, de 'Alî et ses fils. Au centre du grand médaillon du portail de la mosquée al-Aqmar au Caire se détachent, ajourés dans la pierre, ceux de Muhammad et de 'Alî. En clef de voûte, dans une coupole du mausolée du sultan il-khanide Uldjaïtu à Sultaniyye (1313), sculpté dans du stuc blanc qui contraste avec le rouge de la brique, le nom du prophète s'enroule sept fois en girouette autour de celui d'Allah.

Un autre type de graphie, cursive le plus souvent, est utilisé pour les formules religieuses ; la calligraphie « en miroir » est sorte de figuration symbolique de l'idée de reflet si chère à l'islam, pour lequel toute manifestation du monde terrestre est un reflet du monde céleste. La formule est tracée selon le ductus choisi, puis retournée : procédé courant pour les textiles anciens au décor tissé selon le procédé du « montage à la pointe ». De grandes compositions de ce style, peintes en noir, ornent les murs blancs de la Grande Mosquée de Bursa (1399) et de l'Eski Djami à Edirne (1402), magnifiques témoins de l'architecture du premier art ottoman.

Carreau de revêtement
Carreau de revêtement |

Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

Lampe au nom du sultan al-Malik al-Nasir al-Din Muhammad ibn Qala’un
Lampe au nom du sultan al-Malik al-Nasir al-Din Muhammad ibn Qala’un |

Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

Dans certains cas, abstraction visuelle plus concise encore, toute symbolique, c'est une seule lettre ou un groupement de deux qui est tracé : lewa, abréviation du mot « Lui », c'est-à-dire Dieu ; le couple lam et alif, qui entre, répété, dans le nom d'Allah et dans la chahâda, formule de la profession de foi. Sur certaines pages d'albums, souvent d'origine turque, le texte religieux, écrit en miroir ou non, se transforme en pictogramme. Les mots s'étirent, s'enroulent, se superposent et se métamorphosent en oiseau, en lion, ou en paysage linéaire où dominent coupoles et minarets.

Les usages magiques de l'écriture arabe

L'islam s'imprègne de toutes les manifestations de la vie du monde musulman, et donc l'écrit, avec sa valeur de symbole sacré, apparaît partout. La formule religieuse « au nom de Dieu » - la bismillah - introduit toute inscription monumentale, religieuse ou non, toute épitaphe, tout décret princier. Même dans le cas où l'inscription, parfois à peine reconnaissable, abrégée, est devenue semblable à un ornement, il est souvent possible d'y reconnaître une invocation d'ordre religieux, telle barakat, « bénédiction » (sous-entendu « de Dieu pour le possesseur de l'objet »). Même indéchiffrable, l'écrit garde sa valeur sacrée.

Coupe magico-thérapeutique
Coupe magico-thérapeutique
Miroir aux poissons
Miroir aux poissons |

Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

La valeur prophylactique de la lettre est plus évidente encore dans l'usage qui en est fait dans la magie liée le plus souvent à l'astronomie-astrologie et à la médecine. Miroirs et coupes en bronze, amulettes en papier, en cristal de roche ou en pierres semi-précieuses se couvrent de textes où voisinent invocations religieuses, recettes et formules talismaniques, petits dessins d'étoiles, de lions, de scorpions... Tracées selon une graphie particulière très difficile à déchiffrer, elles peuvent s'inscrire dans des compartimentages eux-mêmes symboliques.

Coupe prophylactique
Coupe prophylactique |

Musée de l’Homme, 74. 179.3 (don du Dr Joël Le Corre)

De même que les mystiques ont vu dans l'écriture des connaissances cachées et des pouvoirs particuliers, d'autres ont pratiqué la science des lettres, qu'ils ont divisées en quatre catégories correspondant aux quatre éléments de l'alchimie - feu, air, terre et eau -, leur prêtant des vertus talismaniques. Par ailleurs aussi, à chaque lettre de l'alphabet est attribué un équivalent numérique, utilisé en particulier pour les dates en abjad, mais également en magie et dans les recherches kabbalistiques. Il serait toutefois arbitraire et faux de séparer mystique, astronomie et même poésie, dont le langage se réfère souvent à la lettre comme image.

Le pouvoir et le sacré dans la tradition arabe

Les titres des souverains font certes allusion à leurs pouvoirs temporels, mais aussi à leur fonction de lieutenants de Dieu. Et les inscriptions qui les énumèrent, insignes de puissance politique, sont toujours un rappel de l'omniprésence divine et de l'importance de l'arabe comme langue du pouvoir.

C'est bien pourquoi, dès les premiers temps de la suprématie musulmane, le calife 'Abd al-Malik (685-705) l'a décrété langue officielle de l'administration de son empire déjà immense et a substitué aux monnaies iconiques byzantines et sassanides jusqu'alors en vigueur une monnaie typiquement islamique, sur laquelle le texte - celui de la chahâda - remplace l'image des souverains et évoque le maître de toutes choses, Dieu. En ce qui concerne l'énumération des titres princiers, dans bien des cas leur agencement relève aussi du symbole, tout autant que de l'esthétique. Par exemple, à l'époque mamelouk (1250-1517), les inscriptions eulogiques au nom du sultan rayonnent autour de son blason, donnant l'illusion, lorsque la lumière sur un objet en métal effleure les incrustations d'argent et d'or, d'un soleil éblouissant. Or souvent, dans les représentations zodiacales, cet astre, figuré en position centrale et entouré des planètes, est remplacé par l'image du prince en trône.

Écritoire aux cavaliers chasseurs
Écritoire aux cavaliers chasseurs |

Photo © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Hughes Dubois

La référence à Dieu ne concerne pas que les princes. La plupart des prénoms masculins sont à consonance religieuse. Ils s'inspirent de celui du Prophète et de ses successeurs, des quatre-vingt-dix-neuf plus beaux noms divins, ou comportent les mentions Allah ou Dîn, c'est-à-dire « religion » : « serviteur d'Allah », « beauté de la religion », « lumière de la religion », etc.

L'écrit, chemin d'accès à la connaissance dans la tradition arabe

Traité de la thériaque de Pseudo-Galien
Traité de la thériaque de Pseudo-Galien |

© Bibliothèque nationale de France

L'écrit, dans la civilisation islamique, est aussi le chemin d'accès à la connaissance. Pour l'islam, aucune science n'est profane, toute connaissance mène à celle de Dieu. On sait le rôle extraordinaire joué par la civilisation islamique dans la transmission des savoirs de l'Antiquité, qu'elle a largement développée. Les textes sont donc de première importance, et les livres, même scientifiques, sont aussi de beaux manuscrits parfois richement illustrés.

S'il fallait donner un seul exemple bien connu où mise en page, calligraphie et illustrations rivalisent de beauté, on pourrait citer le Livre de la thériaque. Pour ne parler que de la calligraphie, en superbe coufique oriental, elle utilise des encres de couleurs différentes, se détache sur des fonds délicatement meublés d'efflorescences et, sur certaines pages, s'organise même selon des compartiments qui dessinent une grande composition géométrique.

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