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Le Pentathlon des Muses
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La culture populaire aux frontières du sport
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Le sport et la langue
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« Épater la galerie » : quand le jeu de paume devient spectacle
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« Jeter l’éponge » : quand on n’a plus la force de boxer
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« Perdre les pédales » : quand l’histoire du vélo s’emballe
Le sport et la langue

Réalisation : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
Pédaler dans la choucroute - illustration
Réalisation : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
Une langue de spécialité
Le sport est une activité humaine, et comme toute activité humaine, il a une langue propre qui désigne les réalités et manières de faire qu’il recouvre. Cette langue est composée de termes spécifiques et d’expressions. Comme toutes les langues, le français comporte des termes forgés dans des milieux spécifiques et qui sont passés dans la langue générale. Le milieu sportif est de ces milieux.
Cette langue spécialisée est en constante évolution, car les pratiques comme le matériel évoluent ; certaines disciplines apparaissent (le kite-surf), d’autres disparaissent ou connaissent un déclin (le jeu de paume). Ces langues techniques sont doublées de jargons, qui indiquent une culture partagée. Comme les argots, ils ont des usages sociaux : à l’origine, il s’agissait de communiquer sans être compris des autres. Ces jargons privilégient l’humour et la dérision. En cyclisme on pourra avoir la socquette légère ou, au contraire pédaler dans la choucroute ; en ski la boite à orteil désigne le bout de la chaussure).

Coup du sombrero - illustration
Montage : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
Montage : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
Les termes du lexique voire les expressions passent d’une langue à l’autre par emprunt (le vocabulaire du surf est pétri de termes anglo-saxons, comme duke dive pour la technique « du canard »), par adaptation (le tacle vient de l'anglais to tackle) ou par traduction (jeter l’éponge vient de throw up the sponge).
Les changements de sens
Lorsqu’on parle de renard des surfaces (football), de fourchette (rugby), de témoin (athlétisme), de balle molle (tennis de table), on utilise des des tropes, des changements de sens, les mots prenant une signification autre que le sens propre. C’est le cas de l’antonomase citée plus haut, mais aussi de la métonymie ou de la synecdoque (ce n’est pas la balle qui est molle mais la résistance insufflée lors de son (r)envoi) ou encore de la métaphore (un renard des surfaces est un butteur rusé comme un renard).
Les transferts de qualités ainsi pratiqués permettent de comprendre et de rendre compte du monde qui nous entoure. Ils conservent dans leur construction les traces du raisonnement qui a permis de le construire.

Voiture balai et lanterne rouge - illustration
Montage : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
Montage : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
Ainsi, la métaphore s’appuie sur une ressemblance physique (la biscotte pour désigner le carton jaune, le fouetté ou l’enveloppement en escrime), les fonctions (la voiture balai qui ramasse les résidus du peloton en cyclisme, le lièvre est celui que l’on poursuit en athlétisme, la mort subite dans les sports de balle signifie une élimination immédiate et définitive).
Une vision du monde

« Faire le buisson aux arcs »
Dans son traité sur le tir à l'arc, le comte Albert de Bertier, cousin et ami de Pierre de Coubertin, membre du premier Comité international olympique, retrace l'histoire d'une discipline présente dans de nombreuses cultures et qui traverse le temps. Évoquant la période médiévale occidentale, il s'appuie en particulier sur un traité de chasse du 14e siècle, le Livre du Roy Modus et de la Reine Ratio, qui présente un riche vocabulaire et de nombreuses expressions imagées.
Bibliothèque nationale de France
Bibliothèque nationale de France
Ainsi, la métaphore est en rapport avec nos expériences quotidiennes ; la comprendre, c’est s’inscrire dans une culture. Ainsi, faire un robin chez les archers renvoie au plus connu d’entre eux : Robin des Bois. Chaque groupe social a ses tropes, puisque chaque groupe social a des expériences spécifiques du monde. Les archers sont ainsi influencés par les pratiques de leur groupe : la plume, le coq, la poule, le poussin sont des termes d’archerie en rapport avec le domaine des volatiles que l’on utilisait pour faire les flèches.
Quant au vocabulaire du cyclisme, il utilise les éléments du vélo (roue, pédales, jante) dans de nombreuses expressions où le sportif est assimilé à sa machine par métonymie comme sucer la roue, pédaler dans la semoule ou être sur la jante. Ces expressions peuvent paraître relativement claires pour qui connait le fonctionnement d’un vélo, le sens littéral venant éclairer le sens figuré : le sens littéral de pédaler dans l’huile (l’huile qui permet aux rouages du pédalier de faciliter le travail du cycliste) permet de rouler avec facilité (sens figuré). Mais ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, pédaler dans la choucroute trouverait son origine dans le fait que la voiture balai du Tour de France aurait eu des panneaux publicitaires pour des marques vendant ce plat cuisiné.

Match de coiffeurs - illustration
Montage : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
Montage : Marthe Aubineau / Bibliothèque nationale de France
En effet, avec le temps, le raisonnement à l’origine du trope disparaît, on ne fait plus le lien avec le sens propre. L’explication est souvent de plus en plus obscure et on essaie de l’expliquer car l’être humain cherche toujours à asseoir le sens d’un mot. Ainsi, on imagine que pédaler dans la choucroute est lié à la difficulté qu’il y a à avancer dans ce type de matériau. C’est particulièrement le cas lorsque les pratiques évoluent ou lorsque les expressions passent dans la langue courante (un coup fourré). C’est un facteur de perte ou de modification de sens. On croit ainsi que qu’avoir un coup de pompe vient du cyclisme, alors que c’est un terme d’aviation, lié aux dépressions aériennes.
Construire les groupes sociaux
La langue des sports est une langue technique, ce qui suppose de connaître et comprendre les réalités auxquelles elle renvoie. La connaissance de la langue du sport et plus encore la connaissance de son argot est un indicateur de la maîtrise du domaine et de l’insertion dans la communauté sportive. La construction d’une langue spécifique construit le groupe, son utilisation construit l’image de son utilisateur qui passera pour expert.
Par-delà l’image de l’utilisateur, c’est aussi l’image de la pratique qu’induisent ces langues : le caractère humoristique suscitera la sympathie, l’anglais lui donnera un aspect technique, les langues locales l’ancreront dans un terroir.
De fait, quand on apprend une pratique, on apprend aussi son lexique et ses expressions emblématiques, qui sont les indices de la culture ainsi développée.
Provenance
Cet article a été rédigé en 2024.
Lien permanent
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