Buffon, un homme aux multiples talents

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Georges Louis Leclerc, comte de Buffon
Fils d’un conseiller au Parlement de Dijon, mais de souche paysanne, Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788) a fait d’excellentes études de droit, de médecine et de botanique, et s’est initié aux mathématiques, à l’optique et à la mécanique. Son activité appartient pour l’essentiel à la deuxième partie du siècle. Juste avant 1750, alors qu'il était depuis quinze ans déjà membre de l’Académie des sciences et depuis dix ans intendant du jardin du roi, il lança, pour inaugurer sa monumentale Histoire naturelle, une théorie de la terre qui fit grand bruit. Elle donnait pour la première fois à la formation géologique du globe une durée infiniment plus longue et tourmentée que tout ce qu’on avait jusqu’alors imaginé. Dans sa description de la nature, Buffon se distingue fortement, d’un côté de l’abbé Pluche et de ses naïvetés apologétiques, de l’autre de Linné et de ses classifications systématiques.
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Entre Montbard et Paris
Premières années

Vue du cabinet de Buffon et de la tour de Montbard
Georges-Louis Leclerc est issu d’une famille bourgeoise de Montbard, en Bourgogne ; son titre de comte de Buffon, par lequel il est mieux connu vient du nom de la terre achetée en 1717 par son père après un héritage.
Intendant du Jardin et des Cabinets d’histoire naturelle du roi, Buffon se partage, durant toute sa vie, entre Paris et Montbard. Il a annexé à sa maison, richement reconstruite, les ruines du château médiéval qui la surplombent. Il y passe les mois d’été. C’est là, retiré dans ses terres, loin des obligations de la capitale, qu’il peut consacrer le meilleur de son temps à l’œuvre de sa vie : l’Histoire naturelle.
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En compagnie du jeune duc de Kingston, il parcourt en 1731, six mois durant, le midi de la France, et c'est à Rome en 1732, qu'il apprend la mort de sa mère. Ce décès, d'ailleurs cruellement ressenti, le fait riche et indépendant. Sa jeunesse est terminée. Il vient alors à Paris et loge chez Boulduc, apothicaire du roi : un homme utile.
Une science appliquée
Buffon entre dès 1733 à l'Académie des sciences, grâce à Boulduc et au ministre Maurepas. Pendant les sept années qui suivent, il se fait connaître par divers travaux scientifiques qu'il a l'art de transformer en excellentes opérations financières. La gloire et la fortune viennent rapidement à sa rencontre et lui resteront fidèles jusqu'au bout.
Malgré ses succès parisiens, Buffon reste très attaché à sa province et vit à Montbard une partie de l'année. Il utilise les arbres de ses forêts pour se livrer, à la demande du ministre de la Marine, à plusieurs séries d'expériences sur la résistance des bois en collaboration avec l'agronome Duhamel du Monceau. En 1734, il fonde à Montbard une pépinière, puis la vend en 1736 à la province de Bourgogne... tout en se faisant payer par celle-ci pour continuer d'en assurer la direction.
Un voyage Outre-Manche, en 1738, lui permet de se faire élire membre de la Royal Society de Londres et de se convaincre de l'importance du microscope comme instrument de recherche.

L’Observation au microscope
La modernité de Buffon tient notamment au grand rôle qu’il accorde à l’observation et à l’expérimentation. Refusant de s’en remettre seulement au raisonnement et à l’imagination, il rejette les grands systèmes métaphysiques et les idées préétablies, ce qui ne l’empêchera pas de partager certaines des erreurs de son temps. Même s’il la tient en horreur, il ne néglige pas l’observation au microscope, dont l’usage a commencé à se répandre au 17e siècle, et qu’il utilise en particulier pour tenter de résoudre l’épineuse question de la reproduction des êtres vivants, dont on ignore alors les mécanismes. Il entretient des relations suivies avec John Needham, l’un des plus grands microscopistes de son temps, avec lequel il mène une série d’expériences lors d’un séjour du savant anglais à Paris. Daubenton est également associé à ces observations, qui portent notamment sur la semence présente dans les testicules des animaux, prélevée lors de dissections, ici une pratiquée sur un lapin.
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Buffon et le Jardin du roi
Au mois de juillet 1739, s'ouvre à Buffon la chance de sa vie : Du Fay, intendant du Jardin du roi, est très gravement malade. Qui va lui succéder ? Buffon le voudrait bien, mais il n'est pas seul : Duhamel du Monceau, collaborateur de naguère, est à présent son rival ; Maupertuis, qui vient de prouver que la terre est aplatie aux pôles, est également sur les rangs. Des trois candidats, tous membres de l'Académie royale des sciences, Buffon a le moins de titres scientifiques, mais ni Duhamel ni Maupertuis n'ont son habileté et sa chance. Du Fay meurt le 16 juillet. Dix jours plus tard, Buffon est nommé par Louis XV intendant du Jardin et des Cabinets d'histoire naturelle du roi. Cinquante années durant, il « règnera » sur le Jardin royal.

Jardin du Roi
Le Jardin royal des plantes médicinales est créé par Louis XIII en 1635 à l’instigation de son médecin, Guy de la Brosse. C’est alors un établissement chargé de cultiver et de conserver des plantes médicinales servant à la formation des pharmaciens et droguistes, ainsi que de dispenser un enseignement structuré autour des ressources du Jardin et destiné à former les futurs médecins à l’utilisation des plantes médicinales. Le botaniste Fagon donne un grand rayonnement scientifique à ce lieu qui, de Jardin des plantes médicinales, devient plus largement Jardin des plantes.
Buffon, nommé intendant en 1739, l’agrandit considérablement et le dirige pendant près de cinquante ans jusqu’à ce que la Révolution française transforme le Jardin des plantes et ses installations en Muséum national d’histoire naturelle.
De la fin du 18e au début du 19e siècle, le Jardin du roi, devenu Muséum, joue un rôle essentiel, par le biais de voyageurs naturalistes, dans la recherche des ressources naturelles de la planète. Des explorateurs alimentent le jardin en plantes dont certaines, qui sont tropicales, sont déjà acclimatées. En 1714 est construite la première serre chaude de France pour abriter le pied de caféier venu du Jardin botanique de Leyde et souche de tous les caféiers des Antilles.
Buffon encourage l’organisation d’expéditions : Philibert Commerson prend le cap pour Madagascar, Pierre Sonnerat pour l’Inde et l’Extrême-Orient, et Charles Sonnini de Manoncourt part à Cayenne ainsi qu’en Égypte.
À leur manière, les jardins des plantes reprennent le projet des jardins monastiques de rassembler les plantes de la création. Il ne s’agit cependant plus des plantes citées dans la Bible, mais d’une collection inventoriée scientifiquement.
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Le labyrinthe du Jardin du Roy
Le Jardin royal des plantes médicinales est créé par Louis XIII en 1635 à l’instigation de son médecin, Guy de la Brosse. C’est alors un établissement chargé de cultiver et de conserver des plantes médicinales servant à la formation des pharmaciens et droguistes, ainsi que de dispenser un enseignement structuré autour des ressources du Jardin et destiné à former les futurs médecins à l’utilisation des plantes médicinales. Le botaniste Fagon donne un grand rayonnement scientifique à ce lieu qui, de Jardin des plantes médicinales, devient plus largement Jardin des plantes. Buffon, nommé intendant en 1739, l’agrandit considérablement et le dirige pendant près de cinquante ans jusqu’à ce que la Révolution française transforme le Jardin des plantes et ses installations en Muséum national d’histoire naturelle.
De la fin du 18e au début du 19e siècle, le Jardin du roi, devenu Muséum, joue un rôle essentiel, par le biais de voyageurs naturalistes, dans la recherche des ressources naturelles de la planète. Des explorateurs alimentent le jardin en plantes dont certaines, qui sont tropicales, sont déjà acclimatées. En 1714 est construite la première serre chaude de France pour abriter le pied de caféier venu du Jardin botanique de Leyde et souche de tous les caféiers des Antilles.
Buffon encourage l’organisation d’expéditions : Philibert Commerson prend le cap pour Madagascar, Pierre Sonnerat pour l’Inde et l’Extrême-Orient, et Charles Sonnini de Manoncourt part à Cayenne ainsi qu’en Égypte. À leur manière, les jardins des plantes reprennent le projet des jardins monastiques de rassembler les plantes de la création. Il ne s’agit cependant plus des plantes citées dans la Bible, mais d’une collection inventoriée scientifiquement.
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Dès lors, et plus nettement encore que par le passé, sa vie se partage entre deux milieux différents. Au Jardin du roi, Buffon passe les mois d'hiver. Son action, poursuivie pendant un demi-siècle, y est particulièrement féconde : par une suite de tractations souvent complexes, il double la surface du Jardin, non sans réaliser dans ces opérations de très gros bénéfices personnels.
Trois fois, il réorganise le Cabinet d'histoire naturelle, prodigieusement enrichi. S'il intervient peu dans les trois enseignements du Jardin (botanique, chimie, anatomie), il ne laisse à personne le soin de choisir le personnel scientifique. Ses choix font le plus grand honneur à sa perspicacité : Antoine-Laurent de Jussieu et Desfontaines en botanique ; Rouelle et Fourcroy en chimie ; Ferrein, Petit et Portai en anatomie. Son compatriote de Montbard, Daubenton, mais aussi Faujas de Saint-Fond et Lacépède sont placés au Cabinet d'histoire naturelle. C'est encore Buffon qui découvre Lamarck, l'une des gloires du Muséum au siècle suivant.

Le Cabinet d’histoire naturelle
Les cabinets d’histoire naturelle font l’objet d’un engouement grandissant au 18e siècle. Ils sont les héritiers des cabinets de curiosités dans lesquels certains aristocrates constituaient des collections hétéroclites d’objets remarquables et parfois exotiques, d’origine naturelle ou façonnés par l’homme. Au cours du siècle, de riches érudits limitent leurs collections au domaine des sciences naturelles, dans une perspective mêlant la science à l’agrément.
Pour favoriser l’expansion du Cabinet d’histoire naturelle du roi, Buffon nomme Daubenton « garde et démonstrateur » du cabinet en 1735. Installé dans le château du Jardin des plantes, le cabinet s’enrichit rapidement d’animaux, de minéraux, de végétaux et de coquillages provenant de tous les horizons. Il devient en quelques années la collection la plus riche de France. Grâce à son prestige grandissant et au réseau de correspondants entretenu par Buffon, il profite des donations d’explorateurs revenant des quatre coins du globe.
Placée en ouverture du troisième tome de l'Histoire naturelle, cette illustration ne donne sans doute qu’une image idéalisée du Cabinet du roi. Il est probable qu’un désordre bien plus grand régnait dans des locaux devenus rapidement trop exigus pour faire face à la politique de développement énergique impulsée par Buffon.
L’ordonnancement parfait des flacons de spécimens contraste avec le foisonnement de la nature qui transparaît dans la fantaisie animale figurant en début d’ouvrage. Il se démarque également des représentations traditionnelles des cabinets de curiosités, le plus souvent dépeints comme des bric-à-brac sans ordre ni méthode. On peut voir dans cette gravure un symbole du projet affiché par Buffon : refusant le pittoresque, il veut faire entrer le désordre de la nature dans un ordre méthodique et rationnel, fondé sur un empirisme rigoureux.
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L'Histoire naturelle, une audace scientifique
Dans sa maison de Montbard, richement reconstruite à partir de 1734, et à laquelle il a annexé les ruines du château médiéval qui la surplombent, Buffon passe les mois ensoleillés. Ainsi, tout en s'informant par correspondance de la vie du Jardin du roi, il peut gérer ses biens, poursuivre ses expériences de sylviculture. À partir de 1760, il se fait aussi métallurgiste en créant des forges dont il fait une véritable usine où travaillent jusqu'à quatre cents ouvriers.

Les Forges de Montbard
Héritage familial, le château de Montbard, en Bourgogne, est une ressource fondamentale dans la rédaction de l’Histoire naturelle. Buffon y a fait installer un cabinet de travail, où il rédige une grande partie de son œuvre. Il entretient une petite ménagerie, où sont élevés plusieurs animaux sauvages qu’il sera amené à décrire, y fait des essais de croisement entre les espèces, et observe régulièrement la nature environnante.
Il y installe également des forges, employant jusqu’à quatre cents ouvriers, qui lui servent de laboratoire. Pendant plusieurs années, il mène des expériences sur le refroidissement de sphères composées des métaux qui formaient selon lui le globe terrestre à ses origines. Il espère ainsi évaluer le temps qu’il a fallu à notre globe pour se refroidir, et déduire de la sorte l’âge de la Terre. Il en tire la conclusion que notre planète est vieille de 75 000 ans, alors qu’à la même époque les théories tirées de l’étude de la Bible ne vont pas au-delà de 6 000 ans. Ses notes révèlent même qu’il envisageait pour la Terre un âge de 10 millions d’années, hypothèse encore plus audacieuse, qu’il n’a cependant jamais publiée.
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Une tâche colossale
Surtout, il peut, loin des obligations de la capitale, consacrer le meilleur de son temps à l'œuvre de sa vie : l'Histoire naturelle. À l'origine, il s'agit d'une description du Cabinet d'histoire naturelle du roi, demandée par Maurepas ; mais, très vite, Buffon conçoit un projet beaucoup plus vaste et, laissant les minutieuses et lassantes descriptions des collections royales à Daubenton, il entreprend de peindre la nature tout entière. Tâche immense, pour laquelle le prospectus diffusé en 1748 prévoit quinze volumes. En fait, à la mort de Buffon, quarante ans plus tard, trente-cinq gros volumes sont déjà publiés et un trente-sixième est sous presse.
L'Histoire naturelle générale et particulière

Manuscrit de l'introduction à l'Histoire naturelle
Les manuscrits relatifs à l’Histoire naturelle sont peu nombreux et sont conservés à la Bibliothèque du Muséum national d’Histoire naturelle. Leur importance a pourtant été reconnue très tôt puisque dès 1860, Pierre Flourens en proposait une étude agrémentée de reproductions. Pour l'auteur, l'un des enjeux de cette étude est de circonscrire la part des différents collaborateurs ayant prêté la main à l'œuvre de Buffon, notamment Daubenton, Gueneau de Montbeillard et Bexon. Cette question entraîne toujours aujourd'hui de nombreux débats parmi les spécialistes de l'œuvre du naturaliste.
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Malgré les critiques nombreuses, sur le fond ou sur la forme, de Voltaire, Réaumur, d'Alembert et de bien d'autres, Buffon poursuit son dessein, remplissant ces quinze volumes par des vues générales sur l'histoire naturelle, une théorie de la Terre, des comparaisons entre les trois règnes de la nature, l'histoire naturelle de l'homme et celle des animaux. Là, Buffon développe la fameuse théorie des « molécules organiques » qui composeraient les êtres vivants et du « moule intérieur » qui permettrait leur organisation.

Page de titre du premier tome de l’Histoire naturelle
L’édition originale de l’Histoire naturelle, publiée par l’Imprimerie royale de 1749 à 1789, comprend 36 volumes in-quarto illustrés de gravures en mille-douce, la plupart dues à Jacques de Sève. Elle se divise en quatre séries :
- l’Histoire naturelle générale et particulière avec la Description du Cabinet du roi (1749-1767, 15 vols.) ;
- l’Histoire naturelle des oiseaux (1770-1783, 9 vols.) ;
- les Suppléments à l’Histoire naturelle générale et particulière (1774-1789, 7 vols.) ;
- l’Histoire naturelle des minéraux (1783-1788, 5 vols.).
De nombreuses autres éditions ont vu le jour, du vivant même de Buffon. La plus connue est celle de l’Histoire naturelle des oiseaux (1770-1786), en 10 grands volumes in-quarto, illustrée en couleurs de 1008 planches par François-Nicolas Martinet.
Après la mort de Buffon, Lacépède a publié les parties relatives aux cétacés, reptiles et poissons.
© Bibliothèque du Muséum national d’Histoire Naturelle
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Puis vient la description méthodique des quadrupèdes domestiques et sauvages, dont la monotonie est rompue, ici ou là, par des vues générales, souvent importantes et audacieuses, sur la dégénérescence des animaux, par exemple. Quant à Daubenton, il occupe la fin de chaque tome en décrivant les collections du Cabinet du roi correspondant au texte de Buffon.
L'histoire naturelle des oiseaux
De 1770 à 1783, l'Histoire naturelle des oiseaux est publiée en neuf volumes in-4° Cette édition, illustrée en noir et blanc, est doublée d'une édition de luxe en dix volumes in-folio ornée de planches en couleurs dessinées et gravées par Martinet. Les textes sont de Buffon, avec la collaboration de Guéneau de Montbeillard et de l'abbé Bexon. Daubenton, dont la description du Cabinet a été jugée fastidieuse, est écarté. Il gardera une tenace rancune de cette disgrâce.

Le paon
En rédigeant son Histoire naturelle, Buffon (1707-1788) ne se propose pas seulement de donner un tableau fidèle du règne animal. Il préconise une description à la fois externe et interne des espèces étudiées, mais aussi, explique-t-il, de « tâcher de s’élever à quelque chose de plus grand et plus digne encore de nous occuper, c’est de combiner les observations, de généraliser les faits, de les lier ensemble par la force des analogies et [...] tâcher d’arriver à ce haut degré de connaissance où nous pouvons juger que les effets particuliers dépendent d’effets plus généraux, où nous pouvons comparer la nature avec elle-même dans ses grandes opérations ». C’est ce qui le place au coeur du Siècle des Lumières. Refusant de réduire le rôle du savant à l’admiration passive de la nature, son ouvrage s’inscrit dans le même courant que l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
Buffon n’est pas un encyclopédiste solitaire. S’il garde toujours la maîtrise de son œuvre, il aime à se faire aider pour élaborer les premières notices, auxquelles il donne ensuite le style qui a fait le succès de l’Histoire naturelle. Secondé par Daubenton pour les quadrupèdes, il se brouille avec celui-ci et continue pour les oiseaux avec l’aide de Guneau de Montbeillard et de l’abbé Bexon.
Les planches de l’Histoire naturelle sont en noir et blanc. Buffon justifie ainsi ce parti pris : « Dans les animaux quadrupèdes, un bon dessin rendu par une gravure noire, suffit pour la connaissance distincte de chacun, parce que les couleurs des quadrupèdes n’étant qu’en petit nombre et assez uniformes, on peut aisément les dénommer et les indiquer par le discours. » Il existe en revanche une édition illustrée de planches en couleurs de l’Histoire naturelle des oiseaux, dessinées par Martinet, car la couleur du plumage est un élément fondamental de l’identification des oiseaux.
L’illustration en noir et blanc, moins chère à produire, permet également une diffusion plus large, à un moindre coût. Même sans couleurs, la création de centaines de planches en noir et blanc a en effet un coût non négligeable, que Buffon ne peut acquitter que grâce au soutien royal. Linné, l’un des autres grands naturalistes du 18e siècle, ne disposait pas de tels appuis, et ses ouvrages ne comportent quasiment pas de planches, non seulement pour des raisons de coût, mais aussi parce que son projet diffère de celui de Buffon : plus qu’une description, Linné propose une définition de l’espèce, à des fins de classification. L’illustration pose aussi la question de la singularité et de la généralité : l’illustration représente-t-elle une espèce entière ou un seul individu ? Les juristes résument ce problème dans la formule Testis unus, testis nullus : un témoin unique est un témoin sans valeur.
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La huppe noire et blanche du Cap de Bonne-Espérance
En rédigeant son Histoire naturelle, Buffon (1707-1788) ne se propose pas seulement de donner un tableau fidèle du règne animal. Il préconise une description à la fois externe et interne des espèces étudiées, mais aussi, explique-t-il, de « tâcher de s’élever à quelque chose de plus grand et plus digne encore de nous occuper, c’est de combiner les observations, de généraliser les faits, de les lier ensemble par la force des analogies et [...] tâcher d’arriver à ce haut degré de connaissance où nous pouvons juger que les effets particuliers dépendent d’effets plus généraux, où nous pouvons comparer la nature avec elle-même dans ses grandes opérations ». C’est ce qui le place au coeur du Siècle des Lumières. Refusant de réduire le rôle du savant à l’admiration passive de la nature, son ouvrage s’inscrit dans le même courant que l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
Buffon n’est pas un encyclopédiste solitaire. S’il garde toujours la maîtrise de son œuvre, il aime à se faire aider pour élaborer les premières notices, auxquelles il donne ensuite le style qui a fait le succès de l’Histoire naturelle. Secondé par Daubenton pour les quadrupèdes, il se brouille avec celui-ci et continue pour les oiseaux avec l’aide de Guneau de Montbeillard et de l’abbé Bexon.
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Suppléments et derniers tomes

Le Caméléon
En quarante ans, Buffon fait paraître 36 volumes, mais la mort l’empêche de terminer son œuvre. Le flambeau est repris par Étienne de Lacépède, titulaire de la chaire d’ichtyologie (étude des serpents) et d’herpétologie (étude des poissons) au Muséum d’histoire naturelle, qui a succédé au Cabinet du roi après la Révolution française. Lacépède mène également une carrière politique qui le verra devenir député, sénateur puis pair de France.
Lacépède publie plusieurs volumes traitant des quadrupèdes ovipares et des serpents (1788-1789), des poissons (1798-1803) et des cétacés (1804). Il achève l’œuvre de Buffon pour les vertébrés, mais ne relève pas le défi des invertébrés et des végétaux, dont le nombre excède de beaucoup celui des vertébrés. La pyramide et le décor de pylônes de temple égyptien viennent rappeler que le caméléon vit essentiellement en Afrique. Contrairement à la majorité des animaux de l’Histoire naturelle représentés au niveau du sol, le caméléon se tient sur une branche horizontale, rappel de son mode de vie arboricole.
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Les cinq derniers tomes, parus de 1783 à 1788, c'est-à-dire l'Histoire naturelle des minéraux et le Traité de l'aimant contiennent encore de très beaux passages et des vues pénétrantes, sur les rapports entre matière inerte et matière vivante, par exemple.
Postérité
Vers la fin de sa vie, l'intendant du Jardin du roi est devenu un grand personnage, auquel les princes de l'Europe viennent rendre visite, ou adressent de riches présents. Son influence devient, à la fin du siècle, européenne, sans parler des terres lointaines où les naturalistes-voyageurs portent son nom.
Au début de 1788, Buffon, sentant la fin approcher, est revenu de Montbard au Jardin du roi. C'est là qu'une dernière crise de gravelle l'emporte, le 16 avril 1788, juste à temps pour le soustraire aux fureurs de la Révolution. Ses funérailles sont grandioses. Il a tout réussi, même sa mort, à laquelle le crépuscule de l'Ancien Régime sert de majestueuse toile de fond. Sa disparition, pourtant, est ressentie avec joie par quelques-uns, avec soulagement par presque tous. Puis viennent les critiques...
On n'a pas fini de discuter les mérites de Buffon, d'énumérer ses erreurs et de souligner ses travers. Son œuvre, toutefois, est trop importante pour qu'on puisse la négliger. Quant au Jardin du roi, devenu le Muséum d'histoire naturelle, il ne serait sûrement pas ce qu'il est si, entre Fagon et Cuvier, son destin n'avait été lié pour un demi-siècle à celui de ce grand seigneur né bourgeois : Georges Leclerc, comte de Buffon.
Provenance
Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).
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